Principe
Les organismes vivants échangent constamment du carbone
(sous la forme de ses différents isotopes) avec leur environnement
lorsqu'ils se nourrissent, respirent et éliminent les catabolites de
leur métabolisme. Le carbone 14 (ou radiocarbone) est un isotope radioactif
du carbone. A la mort de l'organisme, les échanges de carbone cessent
et le carbone 14 va se désintégrer régulièrement
: la mesure de la radioactivité résiduelle permet de calculer
l'âge de l'échantillon.
Les
inventeurs
Ernie Anderson et Willard Libby, en 1947.
Application
La technique du carbone 14 permet de dater tous les fossiles
d'origine organique : le bois, les charbons de bois, les ossements, l'émail
dentaire, les graines, les tissus, les tourbes, les coquilles de mollusque,
les coraux, les stalagmites. Mais la technique ne s'applique pas à
des matériaux de plus de 50 000 ans : ils ne contiennent pratiquement
plus d'atomes de radiocarbone détectables.
La
formation du carbone 14
Dans la haute atmosphère, les protons du rayonnement
cosmique entrent en collision avec les molécules de l'air ; les neutrons
créés par ces chocs interagissent avec l'azote de l'air pour
produire des atomes de carbone 14. La technique du radiocarbone repose sur
l'hypothèse que la formation du carbone 14 est constante au cours du
temps. Or nous verrons plus loin que ce n'est pas le cas. De récents
calibrages permettent de corriger la dérive des datations.
Le
circuit du carbone 14
Dès sa production, le carbone 14 est intégré
au gaz carbonique et donc au circuit de l'air et de l'eau. Dans le milieu
naturel, il y a un billion ( = mille milliards) de fois plus d'atomes de carbone
stable que de carbone 14. Les êtres vivants assimilent en même
temps le carbone stable (98,9% de carbone 12 et 1,1% de carbone 13) et le
carbone 14. Ce dernier est instable : il est radioactif b-
et redevient de l'azote 14 en perdant un électron. L'azote 14 ne peut
pas être différencié de l'azote commun.
La
désintégration du carbone 14 :
période et mesure
Il suffit de mesurer la radioactivité
du matériel. La période de demi-vie du carbone 14 a été
estimée à 5568 ans : c'est-à-dire
que la moitié des atomes de carbone 14 disparait durant ce laps de
temps. Un gramme de carbone contient une quantité de carbone 14 suffisante
pour qu'un compteur détecte 13,56 désintégrations par
minute. Un matériel dégageant 6,8 désintégrations/mn
serait donc daté de 5568 ans, et 3,39 désintégrations/mn
correspondraient à 11136 ans. Or en 1962, Harry
Godwin a déterminé que la période de désintégration
du carbone 14 est en fait de 5730 ± 40 ans. Il fut décidé
de conserver la période conventionnelle de 5568 ans (car beaucoup de
mesures avaient déjà été réalisées
avec cette donnée) en intégrant la nouvelle découverte
dans les calculs correctifs.
La
formation du carbone 14 (suite)
En datant plusieurs spécimens d'âge connu, Elisabeth
Ralph a montré que la datation au carbone 14 les rajeunit, parfois
jusqu'à 10 %. En appliquant la véritable valeur de la période
du C14 calculée trois ans plus tard par Godwin, il persiste une erreur
de 7%. L'hypothèse de la formation constante du C14 fut donc remise
en cause. Il s'avère en effet que le champ magnétique terrestre
et le vent solaire dévient le rayonnement cosmique nécessaire
à la production de C14. Ainsi, dans les périodes durant lesquelles
le champ magnétique terrestre est important, la production de C14 est
plus réduite ; de même lorsque l'activité solaire est
intense et produit une quantité importante de vent solaire.
Au fur et à mesure qu'ils se déposent, les sédiments
marins s'aimantent en fonction du champ magnétique terrestre et en
gardent ainsi une trace. L'étude de sédiments marins des Açores
a montré que le champ magnétique terrestre actuel est le double
du champ moyen des 50 000 dernières années : le taux de
C14 dans le milieu naturel et dans les organismes vivants au moment de leur
mort était donc durant cette période supérieur à
nos prévisions, et lorsque nous mesurons la radioactivité résiduelle
d'un spécimen, nous omettons la partie initiale de la courbe de décroissance
et sous-estimons donc l'âge du matériel. La teneur atmosphérique
en C14 a atteint un maximum entre 39 000 et 41 000 ans calendaires,
lorsque le champ magnétique a brutalement chuté (excursion magnétique
de Laschamp).
D'autres facteurs ont pu modifier la production de C14 : l'intensité
du rayonnement cosmique a ainsi pu varier au cours du temps puisque le Système
solaire se déplace dans la Galaxie.
Les océans
contiennent 40 tonnes de C14 et l'atmosphère une tonne. Une modification
des échanges entre l'océan et l'atmosphère fait varier
le pourcentage de C14 contenu dans l'atmosphère ; par exemple en cas
de brusque modification climatique ou d'autres causes de variation des courants
océaniques. En effet, quand la circulation des masses d'eau océanique
est ralentie, les eaux profondes sont moins approvisionnées en C14,
et la quantité de C14 augmente dans l'atmosphère, et nous sous-estimons
l'âge des échantillons datés par le C14.
Age
conventionnel et âge calendaire
Les dates obtenues par la méthode du radiocarbone sont
généralement indiquées en années 14C BP (before
present, c'est-à-dire par convention avant 1950). Ces âges conventionnels
ne correspondent pas à l'âge réel : la déviation
s'accentue à mesure que le spécimen est ancien. Pour compenser
cette dérive, des courbes de calibration sont éditées
régulièrement à l'aide de mesures ne faisant pas intervenir
les facteurs cosmiques. Ces courbes permettent de traduire un âge conventionnel
en âge calendaire : ce dernier est indiqué en années 14C
cal BP (ou simplement en années BP).
INTCAL04
et CalPal
IntCal04 est la dernière courbe de calibration officielle.
Elle ne permet cependant que de remonter à 26 000 ans calendaires
(il y a 26 000 ans réels, c'est-à-dire 24 000 avant
notre ère). Elle a été établie à partir
de fossiles d'arbres datés par la dendrochronologie
(1) et
de sédiments varvés (2)
et de coraux datés par la méthode uranium-thorium. D'autres
courbes tentent de remonter jusqu'à 50 000 ans, CalPal
par exemple.
Les récifs coralliens enregistrent les variations climatiques. Les
échantillons de coraux fossiles prélevés par forage sont
datés par le C14 et par la méthode uranium-thorium. Dans certains
sédiments marins, les événements climatiques datés
par C14 se traduisent par des variations des types d'espèces de foraminofères,
des organismes marins, et par des variations des constituants chimiques des
sédiments marins. Ces événements climatiques sont corrélés
avec ceux détectés dans les carottes de glace : les refroidissements
et les réchauffements du climat modifient la composition isotopique
de l'oxygène des glaces et sont datés par comptage des couches
annuelles de glace.
Les courbes de calibration, difficiles à établir en raison de
la rareté des échantillons exploitables, corrigent les valeurs
obtenues par la datation au C14. C'est ainsi que la peinture de la "vache
qui saute" à Lascaux, datée de 17 000 ans 14C BP,
a en réalité 19 000 ans d'âge calendaire. La peinture
d'un rhinocéros dans la grotte Chauvet a été estimée
à 31 000 ans C14 BP. Les courbes proposées par les équipes
de Hughen et de Bard coïncident pour ce point pour suggérer un
âge calendaire de 36 000 ans.
De
meilleures méthodes de mesure du carbone 14
Pour que le compteur ne mesure que la radioactivité
bêta de l'échantillon, il est protégé
du rayonnement cosmique parasite : on place le compteur et l'échantillon
dans un "château de plomb", parfois lui-même entouré
par une épaisseur d'un mètre d'eau. Certains laboratoires mesurant
de très faibles radioactivités sont souterrains, l'épaisseur
des roches arrêtant les rayons cosmiques. Des compteurs externes permettent
d'identifier les rayonnements cosmiques qui passent malgré tout, et
qui seront retranchés des désintégrations mesurées.
Utilisé depuis une dizaine d'années, le spectromètre
de masse couplé à un accélérateur de particules
(AMS) permet de dater des échantillons plus anciens (jusqu'à
45 000 ans) et de plus petites tailles (1 mg de carbone suffit), ce qui
évite de sacrifier le spécimen à étudier.