Homo erectus parlait-il ?

Le cerveau de l'Homme moderne se développe nettement plus lentement que celui des autres Primates. A la naissance, il ne mesure que 25 % du volume du cerveau adulte, et 50 % à l'âge d'un an. La maturité cérébrale n'est acquise que bien des années plus tard. Cette lenteur est un indice de la longue période de plasticité cérébrale, au cours de laquelle les réseaux neuronaux s'organisent. La longueur de cette période est fonction de la densité des synapses à établir, et donc de la somme des fonctions cognitives à mettre en place.

Dans le cadre du programme «Origines de l'Homme, du Langage et des Langues» du CNRS, Hélène Coqueugniot (Laboratoire d'Anthropologie des Populations du Passé, Université de Bordeaux I), Jean-Jacques Hublin (Institut Max-Planck, Leipzig) et leurs collaborateurs ont examiné au scanner (tomodensitométrie) une voûte crânienne et un fragment de la base d'un crâne découverts en 1936 à Java et attribués à «l'enfant de Modjokerto», un Homo erectus d'il y a 1,8 million d'années (Perning 1).

Les images obtenues à l'Hôpital Hautepierre (Strasbourg) leur ont permis de conclure que la fontanelle bregmatique et l'os temporal n'avaient pas atteint leur maturité. En prenant comme références les vitesses de croissance du crâne du Chimpanzé et de l'Homme moderne, les chercheurs estiment que l'enfant de Modjokerto avait un âge compris entre 6 mois et 1 an et demi. Il est en effet fortement probable que la vitesse de croissance crânienne d'Homo erectus soit comprise entre celle du Chimpanzé et celle de l'Homme moderne. Aussi ont-ils estimé que l'enfant de Modjokerto est certainement mort vers l'âge d'un an.

Or le cerveau de ce nourrisson avait déjà atteint 80% (72 à 84%) de la taille d'un cerveau adulte de la même espèce. Cela dénote un développement cérébral bien plus proche de celui des singes actuels que du nôtre, et plus rapide que celui de notre espèce (à 1 an, notre cerveau ne mesure que 50% de sa taille adulte), en tout cas trop rapide pour que les structures neuronales du langage aient eu le temps de s'organiser.

Il est donc probable qu'il y a 1,8 million d'années, l'Homo erectus asiatique n'était pas doté de la parole.

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H. COQUEUGNIOT, J.-J. HUBLIN, F. VEILLON, F. HOUËT & T. JACOB, "Early brain growth in Homo erectus and implications for cognitive ability", Nature 431, 299 - 302.
Voir également le communiqué du CNRS.

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Plusieurs remarques figurent sur le forum américain Palanth.

Robert Henvell rappelle que l'âge de l'enfant de Modjokerto n'est pas déterminé avec certitude, puisque les estimations varient entre six mois et huit ans. Or si son âge réel était plus proche de cette dernière estimation, la différence entre H. erectus et H. sapiens serait nettement moins importante que ce que suggère Hublin.

Daryl Habel estime lui aussi que l'âge de l'enfant est la clé permettant de savoir si son développement cérébral est proche de celui des Singes actuels et différent de celui des Hommes modernes. L'équipe de Hublin semble se baser sur les mesures obtenues sur les images scanner pour estimer l'âge de l'enfant. Cependant, Anton (1997) concluait à un âge compris entre 4 et 6 ans en utilisant plusieurs autres critères. Si l'enfant est plus âgé, on devrait conclure à un développement cérébral plus lent, plus proche du nôtre, et donc à la possibilité qu'il pouvait parler.

ANTON, S. (1997). "Developmental age and taxonomic affinity of the Mojokerto child, Java, Indonesia". American Journal of Physical Anthropology 102: 497-514.

Reconstitution tridimensionnelle de la boîte crânienne de l'enfant de Mojokerto.
L'enfant de Modjokerto. Reconstitution.
© CNRS – Jean-Jacques Hublin (MPI)
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