Les bébés

Les fossiles d'Hommes de Neandertal adultes sont relativement nombreux. Par contre, peu d'enfants néandertaliens ont été découverts.

Shanidar
Parmi les nombreux Néandertaliens mis au jour par Solecki dans cette grotte en Iraq on note les 84 os et fragments osseux (dont 16 dents de lait) d'un bébé de 9 mois dont les restes mesurent 38 cm.

La Ferrassie et L'Hortus
Le développement des Néandertaliens est plus rapide que le nôtre et les traits néandertaliens apparaissent très tôt. L'étude de nourrissons néandertaliens, notamment ceux de La Ferrassie (Savignac-de-Miremont, Dordogne, France) et de L'Hortus (Valflaunès, Hérault, France) suggèrent que les caractéristiques de la voûte crânienne sont sans doute présents dès la naissance, mais que les caractères faciaux apparaîtraient plus tard. (Paul B Pettitt) Ci-contre à droite, le nouveau-né La Ferrassie 4bis (LF4bis ; cliché J.-L. Heim). La tombe d'un autre nourrisson, La Ferrassie 6 (LF6), est recouverte d'une dalle (le bloc La Ferrassie XVI) dont la surface inférieure comporte 18 cupules. Wim van Binsbergen voit dans la position des cupules la représentation de la constellation d'Orion d'il y a 31 000 ans !
Heim, J.L. (1982) Les Enfants Néandertaliens de La Ferrassie. Masson.
Peyrony, D. (1934). "La Ferrassie". Préhistoire volume 3, pages 1-92
Capitan, L.& Peyrony, D., 1921, ‘Découverte d’un sixième squelette moustérien à la Ferrassie, Dordogne’, Revue Anthropologique, 31: 382f

Le Moustier 2
Comment ce précieux squelette presque complet d'un nouveau-né néandertalien, enterré il y a 40 000 ans (1), a-t-il pu resté égaré pendant 90 ans ?

Denis Peyrony le découvre en 1914 dans la couche J de l'Abri inférieur du Moustier (1), dans une fosse en forme de cône tronqué de 50 cm de diamètre et de 40 cm de hauteur, le long de la Vézère, en Dordogne (France), et le décrit en 1921. Il envoit le fémur et l'humérus droits à Marcellin Boule, professeur au Musée d'histoire naturelle de Paris, afin qu'il détermine l'âge du fossile. A cause d'une mauvaise interprétation du journal de Denis Peyrony, on a longtemps cru qu'il avait expédié le squelette entier. Bien que l'on sut qu'il s'agissait d'un nouveau-né, on n'étudia pas plus précisément «Le Moustier 2» que l'on crut avoir perdu à Paris. Le fémur et l'humérus droits ont ensuite été attribués par erreur à un autre enfant néandertalien, «La Ferrassie 4», qui aurait été enterré dans la même tombe double que l'enfant «La Ferrassie 4bis», bien que la couleur et la fossilisation des deux os étaient nettement différentes de celles de LF4bis.

Bruno Maureille, de l'Université de Bordeaux, établissait l'inventaire des collections du Musée national de préhistoire des Eyzies (Dordogne) quand en 1996 il se pencha sur le cas d'os non étiquetés rangés parmi des outils découverts au Moustier. Certains des os étaient recouverts de sédiments et associés à des éclats de silex et à des fossiles d'animaux (cervidé, capriné, boviné).

Il mesure environ 52 centimètres et possède une morphologie différente de celle d'un nourrisson actuel (3) : sa taille est plus petite, sa tête plus volumineuse et ses os plus massifs. Le niveau de calcification des racines de ses dents (3) et la longueur de ses membres indiquent que lors de son décès il ne devait pas avoir plus de quatre mois. Son sexe et les causes de sa mort sont encore inconnus. Il nous permet de savoir quels sont les caractères néandertaliens déjà en place à la naissance et qui ne dépendent pas du mode de vie. Le bébé du Moustier montre déjà ses différences dans les proportions des phalanges du pouce, les maxillaires en extension, la forme particulière des os du nez, l'orientation de la tête du cubitus et la courbure postérieure des côtes et du radius (2).

Maureille, B. "Lost Neanderthal neonate found". Nature, 419, 33 - 34, (2002)
(1) : La couche moustérienne J a été datée de 40 300 ± 2 600 ans par thermoluminescence : Valladas, H. et al. Nature, 322, 452-454 (1986)
(2) : http://crdp.ac-bordeaux.fr/cddp24/CDRP/neand.html
(3) : http://www.cybersciences.com/cyber/3.0/N2932.asp

Photo : le nourrisson Le Moustier 2 : les os pariétaux et l'arrière du frontal sont très fragmentés ; il manque le temporal gauche, les omoplates, le pubis, l'humérus et le fémur droits. Photo : P. Jugie/Musée National de Préhistoire, Les Eyzies de Tayac. Le musée des Eyzies possède un autre squelette néandertalien infantile, celui de la grotte du Roc de Marsal.

Le Roc-de-Marsal
(Campagne-du-Bugue, Périgord) découvert en 1961 par Jean Lafille. Ce squelette complet reposait dans une dépression du sol, les membres inférieurs repliés vers l'arrière. Cet enfant vieux de 70 000 ans (ou 60 000 ans) a permis à Elisabeth Daynes de reconstituer la morphologie d'un enfant néandertalien, morphologie proche de celle des enfants modernes : c'est en vieillissant que Neandertal acquiert ses caractéristiques tels le bourrelet sus-orbitaire et l'absence de menton. (commentaires : Musée des Eyzies)
Bordes, F. ; La Fille, Jean : "Découverte d'un squelette d'enfant moustérien dans le gisement du Roc-de-Marsal, commune de Campagne-du-Bugues (Dordogne)", Comptes Rendus de l'Académie des Sciences, séance du 15 janvier 1962
Madre-Dupouy, M. (1992). L’Enfant du Roc de Marsal. C.N.R.S.

Mezmaiskaya
La grotte calcaire Mezmaiskaya a été découverte en 1987 dans le Nord-Ouest du Caucase, sur les berges de la Sukhoy Kurdhips, à 60 kilomètres des rives orientales de la Mer Noire, à 1 300 mètres d'altitude. Ce site présente plusieurs couches archéologiques attribuables au Paléolithique moyen et supérieur.

En 1993, un remarquable squelette datant de 29 000 ans, très bien conservé et presque complet y a été mis au jour à la base de la couche moustérienne 3. Il appartient à un fœtus âgé de 7 à 9 mois (de vie intra-utérine) ou à un nourrisson âgé de 2 mois au maximum. Grâce à la fraîcheur de cette altitude et parce qu'il a été enterré, on a pu extraire suffisamment d'ADN en bon état de conservation dans une de ses côtes pour que ce bébé devienne l'objet d'une des plus célèbres études génétiques de la préhistoire, réalisée par trois laboratoires, à Glasgow, à Moscou et à Stockholm. Selon William Goodwin, de l'Université de Glasgow, co-auteur de l'étude (publiée dans Nature), "elle ne prouve pas que les Néandertaliens ne sont pas nos ancêtres, mais que leur contribution est très limitée et sans doute nulle".

Les arcades sourcilières très proéminentes et le large diamètre des os de la jambe assurent qu'il s'agit bien d'un Néandertalien. Ce qu'a confirmé la comparaison de son ADN mitochondrial avec celui de la grotte Feldhofer (dans la vallée de Neander, Allemagne). La différence n'était que de 3,48 % entre ces deux Néandertaliens, alors que tous deux diffèrent de 6,5 à 7,5 % des Hommes modernes actuels. La fameuse horloge moléculaire a pu ici estimer que la lignée des Hommes modernes et celle des Néandertaliens ont divergé il y a environ 500 000 ans. Le bébé de Mezmaiskaya est l'un des derniers représentants de l'espèce néandertalienne qui a disparu il y a environ 30 000 ans.

Barriel V. ; Tillier A.-M. (2002).- "L'enfant de Mezmaiskaya (Caucase) examiné dans une double perspective paléogénétique et paléoanthropologique -The Mezmaiskaya child (Caucasus). Palaeogenetic and palaeoanthropological perspectives". Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, tome 14, n° 1-2, pages 163-192.
Golovanova L. ; Hoffecker D.F. ; Nesmeyanov S. ; Levkovskaya G. ; Kharitonov V. ; Romanova G. et Svejenceve I. (1998).- "Un site Micoquien Est-Européen du Caucase du Nord (Résultats préliminaires de l'étude de la grotte Mezmaiskaya, les fouilles des années 1987-1993)". L'Anthropologie, t. 106, n°1, p. 45-66.
Golovanova L. ; Hoffecker J. ; Kharitonov V. et Romanova G. (1999).-" Mezmaiskaya Cave : A Neanderthal Occupation in the Northern Caucasus". Current Anthropology, t. 40, n°1, p. 77-86.
Golovanova Lubov V. : "La grotte Mezmaiskaya" (conférence en Real-Player). Paleoassociation.
Ovchinnikov, I.V. et al. (2000).- "Molecular analysis of Neanderthal DNA from the northern Caucasus". Nature, 404: 490-493.

Sidrón
En 1994, quatre spéléologues découvrent deux mandibules humaines dans une galerie secondaire de la grotte de Sidrón, près de Piloña dans les Asturies (Nord de l'Espagne). J. Prieto conclut qu'il s'agit de fossiles néandertaliens et non d'ossements modernes datant de la Guerre civile espagnole comme le crurent les premiers témoins. A la fin de 1998, les fossiles furent analysés par M.D. Garralda et B. Vandermeersch, puis par E. Aguirre et A. Rosas puis en 1999 par J. E. Egocheaga. Les résultats furent publiés à Santiago de Compostela en 1999 et à Barcelone en 2001.

Toutes les parties du squelette sont représentées par les fossiles de Sidrón : une mandibule presque complète, une demi-mandibule gauche, des dents isolées, un corps hyoïde, et des os des membres supérieurs et inférieurs, des côtes et des vertèbres. Ces os appartiennent à un nouveau-né, un nourrisson, un enfant, et deux adultes. Tous peuvent être reliés à la lignée heidelbergensis-neanderthalensis. Leur morphologie les rapproche des Néandertaliens archaïques, comme celui de Krapina (Croatie). Rosas et Aguirre ont ainsi identifié dans les mandibules des traits des fossiles Krapina 2, Arago II (Tautavel) et ceux de La Sima de los Huesos (Atapuerca). La comparaison des fossiles de Sidrón avec ceux de La Sima de los Huesos et les analyses de Bermúdez de Castro et Arsuaga vont dans le même sens. Les fouilles de 2000 et 2001, sous la direction de J. Fortea, ont permis de mettre au jour plus de 200 nouveaux os d'Hominidés, ainsi que des restes animaux qui semblent leur être associés et de l'industrie lithique du Moustérien ancien.

Sclayn
Sur les treize restes découverts entre 1990 et 2001 dans la grotte Scladina, près de Namur (Belgique), au moins huit appartiennent à l'Enfant de Sclayn, un Néandertalien d'une dizaine d'années (11 ans) d'il y a plus de 100 000 ans. En 1993 on trouva un fragment de l'hémi-mandibule droite. En 1996, un second fragment de la même mandibule fut mis au jour : il put être être remonté sur le premier fragment de mandibule. La plupart des dents isolées retrouvées s'intègrent même parfaitement aux alvéoles de cette mandibule. Celle-ci est plutôt robuste : sa branche présente une largeur de 33 mm alors que celle des adultes actuels n’en fait que 25 mm en moyenne. "Le prognathisme caractéristique des Néandertaliens n’est vraiment présent qu’à l’âge adulte. Après la croissance de la troisième molaire, la mâchoire continue de grandir vers l’avant et un « espace » se crée derrière la molaire (espace rétro-molaire)."

Kiik-Koba
Kiik-Koba signifie en turc "grotte de la chèvre des montagnes". C'est de 1924 à 1925 que Gleb Bonch-Osmolovskii a fouillé cette grotte moustérienne située sur la rive droite de la Zuia à 25 km à l'est de Simferopol, en Crimée. Il y a mis en évidence une séquence de deux niveaux culturels ; le niveau inférieur contenait la tombe d'un adulte et d'un enfant. La tombe n'était plus intacte et le squelette de l'enfant était mal conservé. Emanuel Vlcek a cependant pu réaliser en 1976 la première reconstitution d'un Néandertalien aux premiers stades de son développement postnatal pour le Musée national de Prague.
Vlcek E. "Reconstruction du squelette post-crânien d'un nourrisson néandertalien de Kiik-Koba (URSS)", Arztliche Jugendkunde 1977, 68 (3) : 173-179 [Article en allemand]

Teshik-Tash
Le stade isotopique 5e, autour de 125 000 ans, fut une période plus chaude qu'aujourd'hui, au point que les Néandertaliens vinrent jusqu'en Ouzbékistan. La "Great Soviet Encyclopedia" rapporte qu'en 1938-1939 Okladnikov découvrit un site d'habitat moustérien comprenant un crâne et plusieurs os d'un Néandertalien âgé de huit ou neuf ans.
Teshik-Tash est une petite grotte des montagnes de l'Asie centrale, près de Baïssuntau, à 350 km au sud-ouest de Tachkent en Ouzbékistan. En 1938, le site a été fouillé en une saison par Aleksei Okladnikov qui a publié en 1940 ses conclusions ainsi que la description par Georgii Debetz des restes de l'enfant. Pour les protéger de la guerre, ils furent envoyés à Franz Weidenreich à Pékin. Les moulages furent cédés au Muséum d'Histoire Naturelle de New York. Teshik-Tash révéla des outils moustériens et les restes d'un enfant néandertalien âgé de neuf ou dix ans, le crâne brisé en plus d'une centaine de fragments. La reconstruction du crâne met en évidence une importante capacité crânienne, un menton peu développé, une arcade sourcilière robuste, un nez proéminent, un front plat typique des Néandertaliens classiques, un crâne haut, une face de structure moderne. Il fut d'abord conclu que l'enfant était un garçon, mais M.M. Gerasimov pense qu'il s'agit d'une fille en se basant sur la taille qu'aurait l'enfant à l'âge adulte. Le crâne reposait sur un tapis d'os de chèvre et était entouré de cinq paires de cornes de bouquetins posées verticalement, pointes en bas, formant une couronne. La tombe contenait également des grattoirs entourant les os. Contrairement à d'autres auteurs, Okladnikov estime que ces objets sont des offrandes intentionelles, opinion majoritaire aujourd'hui.

Engis
En 1830, le médecin et archéologue belge Philippe-Charles Schmerling découvre près d’Engis (près de Liège) des fragments crâniens d’un enfant (ci-dessous) associés à des outils et des restes d’espèces disparues (telles que le mammouth ou le rhinocéros laineux). Le très jeune âge des fossiles ne permit pas de le distinguer des hommes actuels. Ce n'est qu'environ un siècle après la découverte de la grotte d’Engis que le paléontologue Ch. Fraipont reconnut que l’enfant fossile n’était pas de type moderne mais néandertalien. Il s'agit en fait du premier Néandertalien mis au jour.

une croissance plus rapide que la nôtre

Selon l'équipe de Fernando Ramirez Rozzi (CNRS), la croissance dentaire des Néandertaliens était beaucoup plus rapide que la nôtre : ils devenaient adultes vers 15 ans, contre 18-20 ans chez les Hommes modernes. Les chercheurs s'attendaient à une évolution beaucoup plus lente pour Neandertal car en général, les êtres dont les cerveaux sont plus gros se développent plus lentement. L'étude des ossements d'enfants néandertaliens semble également montrer que le développement des Néandertaliens est plus rapide que le nôtre. En examinant les fragments de crâne et les dents de quatre enfants néandertaliens (Pech de l’Azé, Gibraltar, Engis et Le Moustier), l'orthodontiste créationniste John Cuozzo estime au contraire que les enfants de Néandertaliens ont plutôt une croissance plus lente que nos enfants.