De 1953 à 1960, Ralph S. Solecki et T. Dale Stewart ont découvert dans la grotte de Shanidar, dans les Monts Zagros du Kurdistan irakien, les ossements de neuf Néandertaliens datés de 44 000 à 60 000 ans (période moustérienne). Quatre d'entre eux étaient morts sur place, ensevelis sous des éboulements successifs. Les autres avaient été inhumés dans des sépultures superposées : les ossements de Shanidar 8, un adulte jeune, et de Shanidar 9, un bébé de 9 mois, ont été dégagés sous les restes incomplets et entremêlés de deux femmes, Shanidar 6 et 7, découvertes à côté de Shanidar 4, un homme âgé couché en position fléchie. Le bébé a été inhumé le premier, suivi des deux femmes, qui furent enterrées ensemble. Puis une place fut dégagée pour Shanidar 4, d'évidence un personnage important.


Shanidar I
(surnommé Nandy), décédé à l'âge de 30 à 45 ans, présente de nombreuses fractures consolidées qui témoignent de la solidarité dont il a bénéficié de la part de ses semblables durant sa convalescence. Paradoxalement, il ressemble plus aux Néandertaliens d'Europe qu'à ceux retrouvés en Palestine.


L'analyse du sol de la sépulture de Shanidar IV met en évidence les mêmes pollens dans presque tous les échantillons. Cependant, deux échantillons contiennent un nombre plus élevé de pollens de roses-trémières, et de nombreux grains de pollen de sept autres fleurs y sont regroupés en amas (certains amas avaient même conservé la forme de l'anthère de la fleur), ce qui indique que des fleurs complètes ont été introduites à l'intérieur de la grotte. L'identification de ces pollens par Arlette Leroi-Gourhan et W. Van Zeist permet de conclure que l'Homme de Neandertal Shanidar IV, qui repose à l'intérieur d'une enceinte de pierre marquant apparemment la limite de sa tombe, fut inhumé entre fin mai et début juillet, il y a 60 000 ans, sur un lit de rameaux d'Ephedra orné de fleurs souvent aux couleurs vives et dont la plupart ont des vertus médicinales ou psycho-actives. Solecki imagine que Shanidar IV était non seulement un personnage très important, mais aussi qu'il a pu avoir été une sorte de guérisseur ou de chamane.


Les ossements de Shanidar n'ont peut-être pas survécu aux bombardements de la Guerre du Golfe. Le seul vestige qui reste disponible est sans doute Shanidar 3, alors aux Etats-Unis. Ce serait une profonde injustice car les hommes de Shanidar nous ont permis de considérer les Néandertaliens sous un nouveau jour. Alors qu'ils étaient encore considérés comme des pré-humains bestiaux, leur sens de la solidarité envers leurs blessés, le fait qu'ils aient enterré l'un des leurs avec des offrandes de fleurs, et leurs probables connaissances botaniques et médicales les ont rapprochés de notre humanité.


L'Homme de Neandertal


Nos connaissances se sont en effet bien développées depuis la découverte de Shanidar. Nous savons aujourd'hui que l'Homme de Neandertal savait parler, que sa capacité crânienne égalait la nôtre, qu'il enterrait souvent ses morts, qu'il était parfois cannibale, qu'il avait vers la fin de sa carrière développé un art mobilier (colliers, proto-figurines), qu'il savait être violent avec les siens au point de les blesser au moyen d'un type de machette, et qu'il avait coexisté avec l'Homme moderne pendant 80 millénaires. Les causes de sa disparition restent mystérieuses.


Alors que l'Homme moderne (nous) est sans doute né en Afrique, l'Homme de Neandertal est un pur autochtone en Europe. Descendant de l'Homme de Tautavel, il s'est ensuite étendu au Proche-Orient déjà occupé par l'Homme moderne. Nous n'avons pas de preuve que les deux types d'humains s'y soient réellement rencontré. Tous deux y utilisaient toutefois la même technologie du Paléolithique moyen nommée moustérienne. Mais plus tard, en Europe, les Hommes de Neandertal, peu nombreux (quelques dizaines de millers), vont peu à peu disparaître quand y émigrent des Hommes modernes qui développent une autre culture, plus évoluée, les Aurignaciens. Certains Néandertaliens se modernisent eux aussi, troquant leur technique moustérienne contre un faciès du Paléolithique supérieur appelé châtelperronien. Mais en pure perte. Les Châtelperroniens disparaîtront de même que les Néandertaliens qui ont maintenu leur tradition moustérienne, tels ceux du Sud de l'Espagne. Alors qu'ils avaient su admirablement s'adapter aux rudes conditions de l'Europe glaciaire, ils ont été victimes de la concurrence des Hommes modernes qui ont profité de meilleures stratégies contre les nouvelles conditions de ces millénaires. Mais il s'en est fallu de peu pour que Neandertal ne survive. En effet, la longue coexistence (cohabitation ?) des deux humains, qui s'est étalée en Europe sur 12000 ans, indique que la supériorité de l'Homme moderne fut modeste puisque lente à émerger. Il n'y a en tout cas aucun indice de guerre ou de génocide. Les Hommes modernes n'ont sans doute pas décimé les Hommes de Neandertal. Se basant sur des études de squelettes, certains chercheurs estiment même que les deux groupes se sont métissés. D'autres, des généticiens, objectent que l'ADN des Néandertaliens diffère trop du nôtre et que nous formons une espèce distincte. De plus, la majorité des fossiles indique que les différences morphologiques des deux groupes se sont maintenues jusqu'à la fin de leur longue coexistence. Mais la lecture des os comme celle des fragments d'ADN ancien sont ardues et pleines d'aléas.

De récentes études montreraient que les Aurignaciens ont disparu il y a 30000 ans et n'ont pas mieux survécu aux aléas climatiques de la fin du Paléolithique moyen que les Néandertaliens, et que si les Hommes modernes ont continué à peupler l'Europe, c'est sous un autre faciès culturel, le Gravettien. Les auteurs de cette étude en concluent que c'est la supériorité culturelle du Gravettien qui a permis aux Hommes modernes de survivre, et non une hypothétique supériorité biologique des Hommes modernes sur les Néandertaliens.

D'autres auteurs affirment par ailleurs que l'émergence du Paléolithique supérieur en Europe serait liée à la diffusion de traits culturels nouveaux adoptés par l'Homme moderne mais aussi par l'Homme de Neandertal.

Selon María Fernanda Sánchez Goñi et Francesco d'Errico, l'absence de site moustérien dans le sud de l'Espagne pendant le refroidissement H4 (36 000 à 33 000 ans) et leur réapparition à la fin de cette période suggèrent une contraction de la population néandertalienne pendant le refroidissement, suivie d'une courte expansion avant sa disparition définitive il y a 28 000 ou 29 000 ans. L'extinction des Néandertaliens ne serait donc pas due à un bouleversement climatique.

 

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Les pollens retrouvés en amas à Shanidar : type Achillea, type Senecio (séneçon : fleurs jaunes), type Centaurea solstitialis, type Muscari (fleurs bleues), type Ephedra altissima et deux non identifiés.

L'achillée, couramment nommée mille-feuille, est utilisée pour soigner les blessures. Achillea santolina L. est utilisé en Iraq comme répulsif contre les insectes et contre la dysenterie, les coliques intestinales, et comme tonique et carminatif. Senecio vulgaris L. (sud de l'Iraq) est émétique, diurétique, purgatif, et réputé combattre les douleurs génitales féminines. Le Muscari (Nord irakien) est diurétique et stimulant. L'Ephedra contient de l'éphédrine qui est neurostimulante.

Pollens en grande quantité à Shanidar : type Althaea, dont le nom vient d'un mot grec signifiant guérisseur, et qui est communément appelée rose-trémière. Elle possède de grandes fleurs qui peuvent être blanches, jaunes, rouges ou violettes. Elle est utilisée contre les maux de dents, les inflammations et les spasmes, et en cataplasme. C'est l'aspirine du pauvre. A. rosea L. (nord de l'Iraq) soulage les spasmes, les maux de dents, les inflammations, est émolliente, démulcente, diurétique, expectorante, mucilage et astringente. A. officinalis L. (nord de l'Iraq) est émolliente, combat l'irritation et l'inflammation des muqueuses, et est parfois utilisée en cataplasme.

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Neandertal : la tombe fleurie de Shanidar
Philippe Plailly. Eurelios. Atelier Daynes
Reconstitution d'un jeune néandertalien, l'enfant de Gibraltar.
(c) Welply in "Les Premiers Français" de Henri de Saint-Blanquat, éd. Casterman

Le recul des Néandertaliens fut contemporain de l'arrivée des Hommes modernes.


Cartographie probable.

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cartes : in Pierre-Yves Demars et Jean-Pierre Bocquet-Appel (2000) : Neanderthal contraction and Modern human colonization of Europe. Antiquity 74 : 544-552 (étude de 468 sites datés au carbone 14).

population européenne (estimations 2003)

150 000 Néandertaliens
il y a 50 000 ans

200 000 Hommes modernes il y a 12 000 ans
(estimations 2005 : cliquez ici)

Une modélisation numérique, animée et en trois dimensions, du pouce et de l'index d'un Néandertalien de La Ferrassie indique qu'il avait des doigts aussi agiles que nous.

L'étude des dents des Néandertaliens révèle qu'ils atteignaient l'âge adulte vers 15 ans.

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L'étude de ses dents révèle qu'il atteignait l'âge adulte plus vite que l'Homme moderne

d'après Sylvie BRIET (Libération, 4 mai 2004)

La croissance dentaire des Néandertaliens était beaucoup plus rapide que la nôtre : ils devenaient adultes vers 15 ans, contre 18-20 ans chez les Hommes modernes.

L'équipe de Fernando Ramirez Rozzi (CNRS) a comparé la microstructure de l'émail dentaire de Homo antecessor, Homo heidelbergensis, Homo neandertalensis et de l'Homo sapiens du Paléolithique supérieur. L'émail dentaire a une activité sécrétrice qui provoque des striations transversales à la dent et croît ainsi par couches successives. Cette striation s'accentue quotidiennement et forme, tous les neuf jours chez les primates et les hommes actuels, des «stries de Retzius» : le nombre et l'inclinaison de ces stries dans l'émail sont caractéristiques de sa vitesse de formation. Les études des chercheurs montrent que l'Homo sapiens du Paléolithique supérieur a un développement dentaire identique à celui de l'Homme actuel, alors que les Prénéandertaliens, antecessor et heidelbergensis, ont des périodes dentaires plus courtes. Chez les Néandertaliens, la croissance dentaire est encore plus rapide que chez leurs ancêtres immédiats. Or dans l'évolution des Hominidés, le processus du développement dentaire est de plus en plus long.

«C'est étonnant, il y a davantage de différence entre Neandertal et Homo sapiens qu'entre Homo sapiens et Homo heidelbergensis», constate Fernando Ramirez Rozzi qui s'attendait à une évolution beaucoup plus lente pour Neandertal : en général, les êtres dont les cerveaux sont plus gros se développent plus lentement. Ainsi, il faut deux fois plus de temps à l'homme actuel qu'aux grands singes pour atteindre l'âge adulte. Pourtant, Neandertal avait un cerveau de 1 700 cm3 contre 1 450 cm3 pour notre espèce, soit la plus grande capacité crânienne de tous les Hominidés. Mais il formait sa couronne dentaire 15 % plus vite que l'Homme moderne.

Fernando Ramirez Rozzi en tire deux conclusions : il s'agit bien d'une espèce différente de la nôtre, et cette croissance rapide a sans doute été une réponse adaptative de Neandertal pour combattre un fort taux de mortalité.

 

les bébés des Néandertaliens
BIBLIOGRAPHIE
extraits de l'article de Solecki sur ces fleurs
il existe plus de 80 sites néandertaliens
Jean-Louis Heim a noté que dans le Périgord, la moitié des Néandertaliens retrouvés sont morts avant l'âge de 9 ans, alors que ce n'est le cas que pour un quart des fossiles d'Hommes modernes de la province. Faut-il généraliser cette constatation et conclure à une mortalité infantile plus importante chez les Néandertaliens ?

Solecki a retrouvé les ossements de 2 enfants et de 7 adultes. Les 9 Néandertaliens constituent deux groupes datant de deux périodes différentes :
- le groupe le plus ancien comprend Shanidar 2, 4, 6, 7, 8, 9 et date d'environ 60 000 ans,
- le groupe récent est formé de Shanidar 1*, 3*, et 5* et a 46 000 ans.
(voir schéma)

Shanidar 1* 30-40 ans
Shanidar 2  20-30 ans
Shanidar 3* 40 ans ou plus
Shanidar 4  30-40 ans
Shanidar 5* 40 ans ou plus
ces cinq individus sont de sexe masculin.
= sépultures
* = présentent des pathologies