DU NOUVEAU SUR LE NOUVEAU VENU

Jusqu'à présent, la majorité des chercheurs estime que l'émergence du Paléolithique supérieur en Europe est liée à l'arrivée des Hommes modernes sur ce continent, et que la culture à laquelle appartiennent les nouveaux venus, l'Aurignacien, est apparue avant qu'ils ne la diffusent en Europe. Kozlowski pense que l'Aurignacien existait sur les hauts plateaux iraniens, et qu'il s'agit peut-être là de l'origine de cette culture. Bacho-Kiro (43 000 ans, en Bulgarie) était considéré comme le plus vieux site aurignacien d'Europe.

Mais Tsanova et Bordes mettent cette dernière attribution en doute, et dans une entrevue publiée dans le numéro de février 2004 de La Recherche, Jean-Guillaume Bordes confie les nouvelles perspectives concernant l'aurore du Paléolithique supérieur en Europe :

- l'Homme moderne serait arrivé en Europe 6500 ans plus tard que ce que l'on pensait ;

- le plus ancien site aurignacien daterait donc de 36 500 ans, en Espagne ;

- l'Aurignacien ne pourrait plus se superposer exactement à l'Homme moderne ;

- l'Aurignacien ne serait pas arrivé tout fait en Europe, mais aurait été inventé sur place ;

- l'émergence du Paléolithique supérieur en Europe serait liée à la "diffusion de traits culturels nouveaux adoptés par l'Homme de Neandertal et l'Homme moderne" ;

- la diffusion de cette culture aurait été plus lente que ce que l'on croyait ;

- l'arrivée de l'Homme moderne en Europe aurait été plus progressive que prévue.

Selon María Fernanda Sánchez Goñi et Francesco d'Errico, la date de l'arrivée des Hommes modernes en Europe demeure discutée même si un consensus la situe vers 36 500. A partir de nouvelles analyses de pollens dans des carottes marines des côtes ibériques, ils estiment que cette arrivée des Aurignaciens vers 36 500 BP (âge carbone 14 conventionnel non calibré, correspondant à 40 500 BP en âge calendaire c'est-à-dire en âge réel) s'est déroulée au début d'un refroidissement de Heinrich, l'événement H4 (36 000 à 33 000), et non lors d'une période chaude. Selon ces nouvelles données marines, à chaque événement de Heinrich, une steppe à graminées et à bruyères s'est développée au nord de l'Espagne et une steppe désertique au sud. Les Hommes modernes se sont installés au nord, où les herbivores étaient attirés par les graminées, et ne sont descendus au sud de l'Espagne qu'au cours de la phase tempérée qui a succédé à l'événement H4.

deux faciès au sein des débuts de l'Aurignacien :

AURIGNACIEN ARCHAÏQUE MÉDITERRANÉEN : Nord de l'Espagne et de l'Italie, Sud-Est de la France, Bourgogne ;

AURIGNACIEN ANCIEN : Allemagne, Nord de l'Aquitaine.

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Tsenka TSANOVA & Jean-Guillaume BORDES, "Contribution au débat sur l'origine de l'Aurignacien : principaux résultats d'une étude technologique de l'industrie lithique de la couche 11 de Bacho Kiro", in T. TSONEV & E. MONTAGNARI KOKELJ (dir.) : The Humanized Mineral World : Towards social and symbolic evaluation of prehistoric technologies in South Eastern Europe, proceedings of the ESF workshop, Sofia, September 2003, ERAUL 103, 2003 : 41-50.
Tsanova et Bordes concluent que le niveau 11 de Bacho Kiro correspond à la fois au Moustérien et aux débuts du Paléolithique supérieur. Jusqu'à présent cette inhomogénéité était expliquée par l'intrusion d'éléments moustériens au sein d'un assemblage considéré comme un Aurignacien ancien. Tsanova et Bordes ne partagent pas cette explication.

Les critères qui poussent Tsanova et Bordes à intégrer l'industrie du niveau 11 au Paléolithique moyen sont les suivants :
- Le débitage est de type Levallois.
- La technique utilisée pour obtenir des supports pour les outils est systématiquement de type percussion directe par percuteur dur.
- Le type d'outils le plus marquant consiste en des pointes moustériennes (rares car systématiquement brisées). Les autres types d'outils (grattoirs ou burins par exemple) ne sont pas clairement identifiables, mais présentent une variabilité importante.
- La présence de débitage Kombewa.

Les critères qui leur permettent de considérer que cette industrie présente des parallèles avec le Paléolithique supérieur sont les suivants :
- Le choix d'un type de silex qui n'est pas local, contrairement à la diversité de la matière première retrouvée dans le voisinage du site.
- La variété des outils (grattoirs, burins, pièces esquillées), inhabituelle au Paléolithique moyen.
- L'importance des lames, le leptolithisme et la segmentation spatiale de la chaîne opératoire avec un intérêt tout particulier pour la phase de sélection du support marquent l'effort systématique vers la production de supports réguliers et légers.

Selon Tsanova et Bordes, l'association de toutes ces caractéristiques ne peut pas être attribuée à la coexistence d'objets de techno-complexes différents car elles sont associées de façon cohérente sur les mêmes objets. Si du point de vue des traditions techniques cette industrie semble appartenir au Paléolithique moyen, il semble aussi qu'elle correspond aux traces laissées par les groupes présentant des comportements techno-économiques généralement attribuées au Paléolithique supérieur. A leur avis, il s'agit dans ce sens d'une industrie de transition, avec des affinités avec le Bohunicien (Svoboda, 1990) ou également avec des industries telles que celles de Boker Tachtit, en Israël (Marks & Reid Ferring, 1988 ; Marks, 1983), d'Üçagizli en Turquie (Kuhn, 2002 ; Kuhn et al., 1999), et de Ksar Aqil au Liban (Azoury, 1986). Tant que des analyses comparatives n'auront pas étudié ces industries, Tsanova et Bordes estiment que la dénomination la plus adéquate pour le matériel de Bacho-Kiro est Bachokirien, d'autant qu'ils ne considèrent pas que le niveau 11 soit aurignacien. Les principaux traits de ce techno-complexe (percussion directe par percuteur tendre, organisation volumétrique du débitage, production importante de lames, unipolarité ; Bon & Bodu, 2002) sont en effet absents à Bacho-Kiro.

Le niveau 11 de Bacho-Kiro ne devrait donc plus être considéré comme un élément témoignant de la diffusion de l'Aurignacien en Europe, mais plutôt comme la trace de transformations graduelles qui, partout en Europe, semblent émerger d'un substrat moustérien.

d'après le compte-rendu de Jacques Cinq-Mars, Palanth.Forum
María Fernanda SÁNCHEZ GOÑI & Francesco D'ERRICO, "Les hommes face aux soubresauts du climat", La Recherche, n° 373, mars 2004, pp 34-37.
Durant les refroidissements de Heinrich, la température moyenne du mois le plus froid était de 10°C plus basse qu'aujourd'hui, et les précipitations annuelles étaient deux fois moins importantes. (A. Moreno et al. Quaternary Research, 58, 318, 2002)