Depuis quand utilise-t-il le langage, des symboles, l'art et la pensée religieuse ? Nous ne traitons pas ici de la modernité anatomique d'Homo sapiens, mais de sa modernité culturelle, que l'on tente de résumer par les quatre caractères cités ci-dessus.

Francesco d'Errico rappelle les trois hypothèses (dont la sienne) en la matière :
- le big bang culturel
- Out of Africa
- le polygénisme.

Le modèle du big bang culturel a longtemps prévalu mais doit être abandonné depuis les découvertes de Blombos. Il affirmait qu'une révolution culturelle avait eu lieu en Europe il y a 40 000 ans lors de l'arrivée des Hommes anatomiquement modernes (Homo sapiens) dans ce continent. Une variante génétique de ce modèle lie l'apparition de la modernité culturelle à une mutation génétique survenant en Afrique il y a 50 000 ans.

Selon le modèle Out of Africa, la modernité culturelle apparaît non pas en Europe mais en Afrique (où l'Homme anatomiquement moderne est apparu il y a 200 000 ans), au terme d'une évolution culturelle graduelle qui s'échelonne de 200 000 à 20 000 ans, durant le Middle Stone Age : la Révolution n'a pas eu lieu. Selon ce modèle, le processus biologique qui a conduit à l'apparition de notre espèce l'a pourvu des caractères qui résument la modernité culturelle, comme dans la variante génétique du modèle du big bang culturel (la date proposée est cependant différente). Depuis les découvertes de Blombos, le modèle Out of Africa tend à s'imposer aux autres.

D'Errico propose avec João Zilhão un modèle alternatif dans lequel la modernité culturelle n'est pas liée à la biologie, mais apparaît graduellement au sein de plusieurs espèces (dont l'Homme anatomiquement moderne et l'Homme de Neandertal) bien avant la naissance de l'Homme anatomiquement moderne : l'utilisation de colorants a été mise en évidence en 1999 à Twin Rivers (Zambie) où 176 fragments de colorants de cinq couleurs différentes portant des traces d'utilisation ont été découverts dans une couche datant de 260 000 à 400 000 ans, donc avant l'apparition de notre espèce. Des pigments noirs et des fragments d'ocre ont été retrouvés dans 70 sites moustériens d'Europe, donc des sites néandertaliens. Celui du Pech-de-l'Azé (Dordogne) a 50 000 à 60 000 ans. Les premiers témoignages figuratifs sont contemporains (33 000 ans pour l'Aurignacien en Europe, 26 000 à 29 000 ans pour Apollo 11 en Afrique) mais apparaissent bien après l'Homme anatomiquement moderne (200 000 ans) : il n'y a pas de parallélisme entre évolution culturelle et évolution biologique.

Pour Lorblanchet dans La Naissance de l'art, l'art figuré (art rupestre et art mobilier) "commence au moment où l'homme moderne peuple la planète. L'auteur de ces premières créations est donc le plus souvent" un Homme anatomiquement moderne ou un Homo sapiens archaïque. "L'apparition de l'art rupestre ou mobilier (...) ne se présente pas comme un événement homogène, synchrone et universel. Elle est marquée au contraire par un évident polycentrisme ou polygénisme (...) caractérisant des origines multiples et diachroniques."

d'après Francesco d'Errico, "Les multiples origines des cultures modernes", in Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, "L'origine des cultures", n° 1, décembre 2005 / janvier - février 2006 : pages 52-57.

voir aussi le courrier des lecteurs et le tableau chronologique et la page jumelle à celle-ci.

 

 

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Pour les deux premiers modèles, la modernité culturelle apparaît au sein d'une seule et même espèce.


R.G. Klein, "L'art est-il né d'une mutation génétique ?", La Recherche Hors Série N°4, nov. 2000



Sally McBrearty & Alison S. Brooks, "The Revolution that wasn't : a new interpretation of the origin of modern human behavior", Journal of Human Evolution, vol. 39, n° 5, 2000.

 

Francesco d'Errico, "The invisible Frontier. A multiple species model for the origin of behavioral modernity", Evolutionary Anthropology, vol. 12, n° 4, 2003.

 

 

 


Michel Lorblanchet.
La Naissance de l'art. Editions Errance, 1999. En décembre 1999, il dira pour La Recherche qu' "il y a en effet eu une apparition soudaine de cet art rupestre"