J'ai une question candide qui concerne la naissance de l'art.
D'après vous est-il
né spontanément ou pour servir la religion ?
Merci beaucoup, au plaisir de vous lire.
Amicalement,
Bruno San M.
Eh ! oui ! l'art
est-il né spontanément ou pour servir la religion ?
Mais d'abord : qu'est-ce l'art ? Est-ce la représentation
artificielle (c'est-à-dire par des humains) de la réalité
? Ou est-ce la quête du beau ? Tout le monde ne s'accorde pas
là-dessus.
Interrogeons-nous également si l'on peut plaquer nos valeurs contemporaines sur les productions préhistoriques ? Les peintures, sculptures et gravures paléolithiques furent-elles créées pour être belles ou pour être sacrées ou encore pour signifier la puissance de l'homme qui réussit ainsi à recréer la nature ? (C'est certes une lecture déjà orientée que cette dernière lecture, humaniste.)
Dans les premiers temps l'objet était sans doute ramassé quand il était estimé beau ou particulèrement inhabituel, comme à Makapansgat par exemple (3 millions d'années !). Puis on améliora les formes naturelles d'une pierre pour la faire ressembler encore plus à l'homme ou à l'esprit animal (voir Berekhat Ram et La Roche-Cottard ou Har Karkom). Puis les uvres furent créés de toutes pièces, sans doute d'abord en trois dimensions (sculptures) puis en deux dimensions (art pariétal), ce qui équivaut à un degré supplémentaire dans la représentation.
A quoi servaient
ces objets ? Ils devaient avoir une puissance particulière, donc sans
doute un caractère religieux...Il est difficile de penser avec nos
valeurs. Mais est-il plus licite de penser de façon animiste, c'est-à
dire avec la vision d'un chamane ? Que sait-on de la pensée des hommes
du Paléolithique ? Je ne me permets donc pas de répondre à
la question de Bruno. Peut-être le beau fut-il sanctifié ? Je
me contenterai d'évoquer les plus anciens témoignages de l'art
:
Classiquement, on présente plusieurs thèses pour la naissance
de l'art. Voyez les diverses théories exposées par le
site de Christian Reignier et par paleolithique.org
: magie de la chasse, totémisme, chamanisme, ou art pour l'art. Paul
Tréhin a développé une
thèse originale intéressante : l'art figuratif serait dû
à des autistes surdoués de la préhistoire. Vous pouvez
poser vos questions ou donner votre avis sur le forum
spécialisé mais encore balbitiant sur l'art préhistorique
(et bien sûr également sur prehistoforum).
Le livre de référence sur le sujet est La Naissance de l'art,
de Michel LORBLANCHET (Errance, 1999).
De même qu'on a pu se demander si l'outil était une caractéristique
du genre humain ou si des Australopithèques ou des Paranthropes en
fabriquaient, une question identique se pose à propos de l'apparition
de l'art : est-il spécifique de l'Homme moderne, ou d'autres
populations comme les Néandertaliens produisaient-ils des uvres
d'art ?
Si les sculptures aurignaciennes du Jura souabe
sont réellement les plus anciennes, l'art serait apparu de manière
soudaine. Mais une autre thèse, celle d'une évolution progressive
vers des formes aussi abouties, repose sur l'existence de proto-figurines
:
- la sculpture de Berekhat Ram (plateau du Golan, dans la zone frontalière
Israël/Syrie), de date incertaine, entre 233 000-330 000 ans et 800 000
ans. Culture acheuléenne ;
- la sculpture de Tan-Tan (sud du Maroc) : proto-figurine en quartzite datant d'il y a environ 400 000 ans (300 000 à 500 000 ans). Acheuléen ;
- la sculpture d'Erfoud (Maroc). Acheuléen.
Les plus anciens indices d'une activité artistique sont des crayons d'ocre de 50 000 BP découverts dans la grotte d'Apollo 11 (Namibie) avec des plaquettes peintes datant de 30 000 BP, et les mains des grottes de Pedra Furada (Brésil) et de Wandjina (Australie) datant de 50 000 BP. Un exemple de proto-art est représenté par le sanctuaire de Har Karkom (Israël, 40 000 BP), un rassemblement de roches aux formes naturellement anthropomorphes et retouchées pour accentuer la ressemblance avec des formes humaines. Quant aux plus anciens indices de la pensée symbolique, ce sont des tablettes gravées de traits retrouvées à Blombos en Afrique du Sud datées cette fois de 79 000 BP, ou peut-être des os gravés de plus d'un million d'années découverts à Kozarnika (Bulgarie).