La grotte du Pech-Merle (Cabrerets, Lot) est connue depuis 1922. Ce sanctuaire, rarement visité par l'homme préhistorique, contient 3 signes de type Placard. Leurs contours sont dessinés à la peinture rouge. Un seul signe est entier, il surmonte le dessin d'un homme percé de traits (photo 1 et croquis 2 : cliquez dessus pour agrandir).
La grotte de Cougnac (Payrignac, Lot), découverte en 1952, a connu de nombreux passages des hommes préhistoriques. Elle offre 11 signes identiques dont 4 entiers. Les contours de 10 signes sont dessinés à la peinture noire et un signe est gravé. Les signes ne sont pas associés à d'autres figures, mais un autre panneau (photo 3) de la grotte représente un homme blessé, ce qui est remarquable car ce thème, commun à Cougnac et au Pech-Merle, est rare dans l'art rupestre paléolithique. J'ai par ailleurs noté que ces hommes étaient tous deux criblés de huit traits (classiquement, celui du Pech-Merle est décrit percé par quatre traits et celui de Cougnac par sept traits). La paroi de la grotte de Cougnac comporte également deux silhouettes humaines noires "en fantôme" réduites à des têtes de face sans détail (illustration 4) qui me rappellent la forme générale de la cheminée des signes de type Placard.
Dans ces deux grottes, les signes de type Placard sont chaque fois localisés à un seul panneau, dans des galeries profondes, dans l'obscurité, donc hors de zones d'habitat. Ces deux grottes ne constituaient d'ailleurs pas des habitats.
Deux signes peints à Lascaux (Montignac, Dordogne) ont ensuite été rapprochés de ceux du Lot mais ils ne semblent pas totalement identiques. Dans la partie la plus reculée de l'Abside, juste avant la descente du Puits, André Glory avait décrit un signe tectiforme peint en rouge foncé (croquis 5, signe A). En 1979, Denis Vialou le compare aux signes tectiformes du Lot, mais Norbert Aujoulat, qui confirme qu'il n'est pas sans rappeler les signes de type Placard, estime que son tracé est dû à la superposition de plusieurs traits de couleurs différentes. Jean Clottes n'exclut pas cependant que les derniers tracés aient complété le dessin pour délibérément dessiner un signe de type Placard. Norbert Aujoulat a signalé un autre signe dans la même grotte, au niveau du Diverticule axial : en forme d'accolade, noir et associé au Premier Cheval chinois (croquis 5 signe B ; photo 6), il est de forme (courbe), de taille (1,60 m) et de technique (ponctuations) différentes des signes de type Placard connus ailleurs dont il pourrait être une "réminiscence lointaine". L'existence (encore non acceptée par tous) de signes de type Placard à Lascaux suggérerait que ces signes complexes aient une durée de vie prolongée jusqu'à l'époque de Lascaux, encore récemment estimée vers 17000 BP, mais qu'une nouvelle datation fait remonter à 18 600 ± 190 BP. (BP signifie Before Present [avant le présent], c'est-à-dire par convention avant 1950)
La grotte du Placard (Vilhonneur, Charente) fut découverte au 19ème siècle. Des travaux de déblaiement réalisés à partir de 1988 permirent dès 1990 de mettre au jour au niveau de la couche solutréenne une douzaine de signes identiques à ceux du Pech-Merle et de Cougnac. Or Le Placard est à 165 km du Pech-Merle : malgré la distance, l'identité des signes nous assure de leur origine commune, un même groupe ou peut-être un artiste unique. Les premiers signes connus de la grotte du Placard (cliquer pour visualiser la paroi ornée) sont des gravures horizontales décrivant des surfaces pleines.
D'autres sont par contre des peintures rouges à l'ocre ne dessinant que les contours du signe, sans remplissage, et pas toujours horizontales. Les signes sont tous tracés à peu près à la même hauteur, et selon des techniques identiques : ils sont donc sans doute contemporains les uns des autres. Une gravure située 2,5 m au-dessus d'une peinture pose cependant problème : soit les Solutréens du Placard ont utilisé des échafaudages, comme à Lascaux, soit les signes ne sont pas tous contemporains les uns des autres.
Contrairement aux grottes du Lot, les signes sont au Placard tracés sur plusieurs panneaux de la grotte, et non pas dans l'obscurité mais près de l'entrée, à la lumière du jour, dans des zones habitées de la grotte, ce qui soulève la question de la relation entre l'habitat et les sanctuaires. Les signes sont ici associés à des figures animales, principalement des chevaux (visibles sur le relevé). Notons au passage que le signe tectiforme noir de Lascaux est également associé à un cheval, ce qui pourrait être un argument en faveur de son rapprochement avec les signes de type Placard. Cette remarque doit être nuancée par la grande fréquence des représentations de chevaux dans l'art paléolithique.
Jean Clottes appela toutes ces peintures et gravures du Pech-Merle, de Cougnac et du Placard "signes de type Placard " parce qu'ils sont nombreux et bien datés au Placard : la datation au Carbone 14 d'un os brûlé fiché dans une anfractuosité au-dessus de gravures évalue les dessins à 19970 BP ± 250, ce qui confirme leur attribution au Solutréen. Il est logique de dater les tracés identiques du Pech-Merle et de Cougnac de la même époque, le Solutréen, dont l'art est encore mal connu. Clottes pense comme Leroi-Gourhan que les signes de type Placard sont peu étendus dans le temps.
En 1991, la grotte Cosquer (Cassis, Bouches-du-Rhône) fut découverte non loin de Marseille. Elle comporte un signe de type Placard gravé. Les peintures de la grotte Cosquer proviennent de deux périodes, datées de 27110 ± 390 et autour de 19000 BP (entre 19200 ± 220 et 18010 ± 190). La gravure d'un homme tué (photo 7), datant de la période la plus récente, serait ainsi contemporaine (de 200 à 1700 ans près) des peintures d'hommes criblés de traits du Pech-Merle et de Cougnac. Les périodes solutréennes de ces trois sites n'ont donc pas que les signes de type Placard en commun. Nous retiendrons que Lascaux, à l'instar du Pech-Merle, de Cougnac et de Cosquer, représente un homme blessé, même si c'est à distance d'un signe plus ou moins semblable à ceux du Placard. Le faible écart chronologique entre Le Placard, la seconde période de Cosquer et la nouvelle datation de Lascaux rapproche également les signes de cette grotte des authentiques signes du Placard.
L'étude des signes de type Placard met en exergue les difficultés de la datation. La comparaison des styles artistiques et les techniques du radiocarbone permettent cependant de proposer que ces signes datent d'il y a 20 000 ou 19 000 ans. Cela semble certain pour ceux de la grotte du Placard qui bénéficie d'une datation absolue au Carbone 14, et très probable pour celui de la grotte Cosquer dont certaines peintures sont à peu près contemporaines (de 700 à 2400 ans près) de la date du Placard. Cougnac et la 2ème phase de Pech-Merle paraissent remonter à une même époque mais leur datation est plus incertaine. Combier trouve des affinités entre ces deux grottes du Lot et la grotte de la Tête du Lion (datée de 21600 ± 800 BP), mais Leroi-Gourhan et Lorblanchet estiment qu'elles sont plus récentes que Le Placard. La spécificité, la rareté et l'originalité des signes de type Placard incitent Leroi-Gourhan et Clottes à leur donner une extension modérée dans le temps, seulement "quelques générations (une seule peut-être)" selon Leroi-Gourhan, et pas après 17000 BP concède Clottes qui n'exclut formellement ni le jeune âge des signes du Lot ni l'existence de ces signes à Lascaux.
Que nous apprennent ces signes ?
Des
contacts culturels à longue distance étaient déjà
connus dans l'art paléolithique à propos de la transmission
d'objets, de techniques et de styles, mais pas en ce qui concerne les symboles
pariétaux. Bien que de nombreuses grottes contiennent des signes peints
ou gravés qui se ressemblent, les longues distances entre ces grottes
faisaient douter de la stricte identité des signes. Par exemple les
signes claviformes du Portel, des Trois-Frères,
de Niaux, du Tuc-d'Audoubert et de Fontanet (Ariège) sont situés
à des centaines de kilomètres de ceux de Lascaux et de ceux
de la Cullalvera (Cantabrique) et de Píndal (Asturies) où figurent
des signes assez semblables. L'éloignement était trop important
pour convaincre les spécialistes qu'une culture commune était
à l'origine de ces signes plus ou moins ressemblants entre eux.
Mais les signes de type Placard sont suffisamment élaborés pour
qu'il n'y ait aucun doute sur leur ressemblance. Ils prouvent qu'un même
signe peut avoir une diffusion jusqu'à une distance de 500 km.
Leroi-Gourhan pensait en 1981 que les signes identiques du Pech-Merle et de Cougnac, distants de moins de 50 km, pouvaient être des marqueurs ethniques à cause de leur stricte ressemblance et de leur proximité géographique. Mais quand à partir de 1990 de nombreux signes identiques furent trouvés dans le niveau solutréen de la grotte du Placard, à 165 km de là, et un autre dans la grotte Cosquer près de Marseille, à 500 km du Placard, la valeur des signes complexes comme marqueurs ethniques devint moins certaine.
Quelle
est la fonction de ces signes ?
Diffère-t-elle selon qu'ils sont localisés en profondeur ou
près des entrées au sein de l'habitat ?
Au Congrès international de l'Art rupestre de Vila Real, Christian Züchner évoquait en 1998 la généalogie probable des signes de type Placard. Il rappelait que les signes en forme de papillon ou d'oiseau de la grotte Chauvet n'ont aucun parallèle exact dans d'autres grottes. Les signes qui leur ressemblent le plus sont le signe en forme de seins ou de cur (cordiforme) du Portel (Loubens, Ariège), les reliefs de Roc de Vézac (Vézac, Dordogne) et les pendentifs gravettiens en ivoire de Dolní Vestonice (Moravie). Au moins un des signes de Chauvet se rapproche des tracés rouges de La Pasiega (Puente Viergo, Cantabrie, Nord de l'Espagne). Il ajoutait que les "papillons" de Chauvet pouvaient être les prédécesseurs réalistes des signes de type Placard dont l'origine remonterait ainsi plus haut que le Solutréen.
Il est indéniable que la forme générale des "papillons" de Chauvet rappelle les signes de type Placard. Mais c'est également le cas des signes en accolade peints à Altamira et à El Castillo, des magnifiques pendentifs de Dolní Vestonice et de l'étonnante "inscription" découverte dans la grotte de La Pasiega (cliquez sur l'illustration n° 10). Notons également que les deux cercles échancrés en bas-relief de Vézac sont semblables à trois disques échancrés présents au Pech-Merle.
Dépassant le cadre du Paléolithique, Paul Tréhin signale la similitude des signes du Placard avec les signes corniformes (11) de la Vallée des Merveilles (Mont Bégo, Alpes-Maritimes) qui datent de l'âge du Bronze et représentent des bovidés (Henry de Lumley) ou des personnages en position d'adoration.
Que
signifient les signes du Placard ?
Pour Leroi-Gourhan, les signes en accolade (comme il appelait les signes
de type Placard) sont des signes b,
c'est-à-dire des signes féminins, dont des équivalents
sont les dessins de blessures. Les traits, notamment ceux qui traversent les
hommes blessés que nous avons observés, sont par contre pour
lui des signes a,
masculins. La théorie de Leroi-Gourhan se base sur la dualité
signes a-signes
b et sur le
couple cheval-bovidé, sans que l'on puisse associer chaque animal avec
l'un des signes. Il n'est pas inintéressant de noter que parmi les
signes qui ressemblent le plus aux "papillons" de Chauvet, plusieurs
sont des signes féminins : les signes de type Placard, les pendentifs
de Dolní
Vestonice représentant des femmes et des seins,
le signe en forme de seins de la grotte du Portel.
A la fin de sa vie, Leroi-Gourhan a toutefois relativisé l'importance
de la dichotomie sexuelle des signes, tout en maintenant la thèse d'une
opposition entre deux forces complémentaires. Ainsi que le précise
Züchner, la pensée paléolithique est bien plus complexe
qu'une dyade masculin - féminin, et affirmer que les signes du Placard
ne représentent que la féminité ne serait qu'une partie
de la vérité.
Mais l'association
des signes du Placard et de l'homme blessé renvoie au couple a
et b même si ces signes
ne sont pas sexués.
Les études actuelles sur l'art paléolithique sont cependant
plus prudentes et moins dogmatiques qu'au siècle dernier. Elles se
contentent souvent d'être descriptives, mais avec précision et
exhaustivité.
Nous retiendrons donc surtout les associations du signe du Placard avec le
thème de l'homme blessé (souvent à tête d'oiseau)
et avec le dessin du cheval.
Anecdotiquement,
je remarquerais que le graphisme du signe évoque les silhouettes fantômes
de Cougnac, mais aussi des oiseaux en vol ("signes aviformes")
couplés ici aux têtes d'oiseau des hommes blessés.
Concernant les signes de Chauvet, du Portel, de La
Pasiega et de Dolní
Vestonice signalés plus haut, Züchner rappelle qu'ils représentent
certainement des faits mythologiques ou des systèmes religieux communs
à toute l'Europe. Selon lui il existe ainsi dans ce continent plusieurs
versions des signes en accolade, qui diffèrent dans leurs détails
mais se conforment à une structure principale identique. Mais il distingue
nettement les signes de type Placard (Le Placard, Cougnac, Le Pech-Merle,
Cosquer, et peut-être Lascaux) des autres types (Chauvet, Le Portel,
La Pasiega, etc), même si ces signes datent tous de la fin du Gravettien,
du Solutréen et du Badegoulien.
Plusieurs groupes géographiquement éloignés, certainement des Solutréens, ont ainsi peint et gravé un signe mystérieux depuis la Charente jusqu'à la côte méditerranéenne. Ce signe a peut-être été reproduit pendant un à trente siècles. Il constitue peut-être une réminiscence de figures plus réalistes remontant au Gravettien. Il démontre que des groupes différents vivant sur des territoires distants de plusieurs centaines de kilomètres ont entretenu des relations plus ou moins suivies. La signification de ce signe, peut-être féminin, parfois associé à des chevaux ou à des humains en danger et dessiné aussi bien dans des habitats que dans des grottes rarement fréquentées et non habitées restera sans doute inconnue.
RÉSUMÉ : Avec le temps et grâce à de nouvelles
découvertes, certains thèmes de l'art pariétal ou mobilier
se révèlent être plus nombreux et avoir une dispersion
beaucoup plus vaste qu'on ne le croyait au début. Au-delà de
leur importance intrinsèque, cette multiplication renouvelle leur intérêt
et ouvre des perspectives nouvelles sur leur signification.
Ainsi, au cours des dernières années, il est apparu que les signes géométriques de type Placard, initialement connus dans le seul Quercy, à Pech-Merle et à Cougnac, se trouvaient aussi en Charente (Le Placard) et jusqu'en Provence (Cosquer).
Les dates obtenues dans ces deux dernières grottes permettent de les placer au Solutréen, ce qui n'est pas incompatible avec les données des cavernes lotoises (Clottes, Duport, Feruglio, 1990, 1991 ; Clottes, Courtin, Collina-Girard, 1996). Dans leur cas, un signe auquel avait été attribuée une étroite valeur de marqueur ethnique (Leroi-Gourhan, 1981) appartiendrait donc plutôt à des groupes contemporains divers, répandus sur de vastes territoires, ce qui témoigne une fois de plus de la diffusion des croyances et des pratiques cultuelles. (texte du résumé : M. Jean Clottes)