LES TOMBES GRAVETTIENNES
Les tombes ont toujours fourni aux chercheurs d'importantes informations sur
la vie des individus inhumés. Nous allons visiter quelques tombes de
l'époque gravettienne. La dernière ne manquera pas de nous conduire
à quelques interrogations.
La culture gravettienne a débuté il y a 29000 ans et s'étale sur 7000 ans en occupant toute l'Europe de l'Atlantique à l'Oural. Elle comporte plusieurs variétés régionales, dont le pavlovien en Europe orientale. Les Gravettiens ont connu une forte dégradation climatique que l'on a observée en Europe entre 28000 et 24000 ans.
Plusieurs sépultures gravettiennes, dont celles qui seront évoquées plus loin, sont caractérisées par l'utilisation de l'ocre, par la présence fréquente d'ornements personnels élaborés et habituellement par l'association à des ossements d'herbivores utilisés comme couvertures de tombeaux. Ces éléments suggèrent qu'il s'agissait de tombes de personnages jouant un rôle important dans leur société ou, s'il s'agissait de tombes d'enfants, qu'ils appartenaient à la famille d'un personnage important. (www.britarch.ac.uk/ba/ba45/ba45feat.html)
LA
TOMBE DU CHAMANE DE BRNO II
La sépulture pavlovienne de Brno II, en Moravie (République
tchèque), récapitule toutes ces caractéristiques. Datant
de 25 000 BP (Before Present, c'est à dire " avant le présent
"), elle contient les restes d'un homme d'âge moyen et une riche
collection de colliers, d'objets gravés et de figurines d'ivoire, dont
une statuette en ivoire intéressante
à plusieurs titres. Tout d'abord il s'agit d'une figurine masculine,
ce qui est relativement rare dans la sculpture paléolithique. C'est
ensuite son ancienneté qui est remarquable. Enfin elle représente
un cas unique dans le paléolithique du point de vue technique, puisqu'elle
a été montée par l'assemblage de plusieurs parties (tête,
torse, bras et jambes) comme une poupée articulée. La figuration
du visage est remarquable. La tête était originellement peinte
en ocre rouge. On reconnaît un sein, le nombril et les organes sexuels.
Elle date du Pavlovien ancien et mesure 13,3 cm de hauteur totale.
(Jan Jelínek, Encyclopédie illustrée
de l'Homme préhistorique, 1975, Gründ, Paris ;
V.O. 1973, Artia, Prague).
Il semblerait selon Olga Soffer et Sarah Wisseman que la tombe de Brno II pourrait contenir les plus anciens témoignages de la technologie des cordages, utilisés dans la fabrication des colliers de coquillages. (www.uiuc.edu/unit/ATAM/news/fall01.html)
Un
chercheur tchèque, Martin Oliva, s'étonne des analogies de la
tombe de Brno II avec le chamanisme tel
qu'il a été décrit par les ethnologues et il y voit vraisemblablement
la tombe d'un chamane, car " à la différence d'un chasseur
gravettien, lui seul a été enterré en plein air à
l'extérieur de l'habitat, seulement équipé pour le monde
de l'au-delà d'objets inutilisables comme arme ou comme armement ".
Martin OLIVA, 1996, "Mladopaleolithicky hrob Brno II Jako
Prispevek k Pocatkum Smananismu" ("La tombe du Paléolithique
supérieur de Brno II, une contribution aux origines du chamanisme"),
Archeologické rothledy, XLVIII, Prague, p. 353-83.
Chez
l'Homo sapiens neandertalensis, la croissance du cerveau serait plus
lente par rapport à celle de la boîte crânienne, ce qui
aurait pour effet d'allonger la boîte crânienne vers l'arrière.
Mais il faut mentionner que parmi les premiers hommes modernes, on trouve
aussi des boîtes crâniennes basses et allongées.
"C'est notamment le cas du crâne no 3 de Cro-Magnon, de quelques
crânes des gisements de Brno, Mladec et Pavlov en République
tchèque ainsi que du crâne no 9 de Skhul en Israël."
(Jean BOIVIN)
LA TRIPLE SÉPULTURE DE DOLNÍ
VESTONICE
En 1986, près de Dolní Vestonice en Moravie, les corps de trois
adolescents, deux jeunes hommes et entre eux une jeune femme infirme âgée
de 17 à 20 ans, ont été découverts dans une tombe
commune datant d'il y a 27600 ans. Les trois crânes et le sol
sont recouverts d'ocre rouge. L'un des garçons semble avoir été
blessé. Les restes d'un épieu en bois ont en effet été
retrouvés au niveau de son bassin. Il portait peut-être une sorte
de masque peint.
Les
bras de la femme touchent le bras gauche de l'homme couché à
sa gauche, tantôt que les mains de l'autre homme rejoignent le pubis
de la femme. Bohuslav Klima se demande s'il ne s'agit pas d'une femme morte
en couches, du père de son enfant et d'un chamane (l'homme au masque),
tenus responsables du décès de la mère. Ou d'amants,
ou d'une reine et de ses consorts. S'ils sont morts à la suite d'un
accident, ou d'un suicide.
James Shreeve, The Neandertal Enigma : solving the mystery
of modern human origins, William Morrow and Company, New York, 1995
Tous
trois ont de 17 à 23 ans ; leur tête est recouverte d'ocre et
ornée d'un "diadème". Dolní Vestonice XIII,
un homme, est étendu sur le dos, porte un pendentif en ivoire de mammouth
et un pieu (en ivoire de mammouth ?) aurait traversé son pelvis. Dolní
Vestonice XIV, un homme, est étendu sur le ventre. Dolní Vestonice
XV (une femme ?) a également de l'ocre entre les cuisses, et une côte
d'animal (un cheval ou un cerf) dans la bouche.
Julien Riel-Salvatore et Geoffrey A. Clark, "Grave Markers",
Current Anthropology 42, n° 4, 2001 : 449-479.
LA
DAME ROUGE DE PAVILAND
En 1823, six ans avant la découverte des premiers ossements néandertaliens
à Engis, William Buckland, professeur de géologie à Oxford
et doyen de l'abbaye de Westminster, annonce la découverte dans la
grotte de Goat's Hole, à Paviland (Pays de Galles), d'un squelette
coloré à l'ocre rouge et entouré de bijoux d'ivoire.
Les bijoux (sans doute) et la présence d'une défense d' "éléphant"
poussent Buckland, qui refuse de croire à la grande ancienneté
de l'Homme, à conclure qu'il s'agit là des restes d'une dame
de petite vertu qui faisait commerce de ses charmes à proximité
d'un cantonnement des légions romaines de l'Empereur Claude (accompagnées
d'éléphants) parti combattre les armées bretonnes. L'histoire
conservera - pour la poésie - la mémoire de la " red lady
of Paviland ", mais établira plus tard qu'il s'agissait d'un jeune
homme, et non d'une femme, et que cet homme qui avait vécu en des temps
beaucoup plus ancien que la période de la conquête romaine (il
y a environ 25000 ans, peut-être 18 000 ans) était associé
aux restes d'un mammouth, et non d'un éléphant.
C.-L. GALLIEN. Homo, histoire plurielle d'un genre très
singulier. PUF, 2002.
LA
TOMBE DE SOUNGHIR
Elle contient les restes d'un homme de 40 ans enterré dans le loess
avec son plus beau costume. Le tissu a disparu, mais de nombreux éléments
de parure en ivoire de mammouth, de petits disques perforés, ont été
cousus sur son costume, qui a ainsi pu être reconstitué. Il portait
une coiffe avec un bandeau autour du front, une veste avec des manches et
des bracelets autour des bras, des bandeaux sur la poitrine, des mitaines,
des pantalons et des mocassins (photo 1).
Henry de Lumley, L'Homme premier, Odile Jacob, 2000
Sounghir
est situé au nord-est de Moscou. Le site est daté de plus de
25000 BP. Il contient de nombreux outils en os, des disques perforés
en ivoire, des pendeloques et des perles en pierre et en os en grand nombre,
ainsi que des statuettes animalières ressemblant aux sculptures aurignaciennes
de Vogelherd, bien que plus simplifiées. Il reste délicat de
déterminer si Sounghir est à attribuer à l'Aurignacien
ou au Gravettien.
Z. Abramova, "L'art paléolithique en Russie",
Les Dossiers d'Archéologie, 270, février 2002
LA
TOMBE DE L'ENFANT DE LAGAR VELHO 1
Cette tombe gravettienne découverte en 1998 au Portugal contient une
centaine de fragments du squelette d'un enfant de 4 ans (photo 2) décédé
il y a 25000 ans et enterré avec un coquillage percé qui faisait
partie d'un collier. Selon Joao Zilhao et Erik Trinkhaus, cet enfant possèderait
à la fois des caractères anatomiques modernes et néandertaliens,
et appartiendrait à une population issue du métissage
des Hommes de Cro-Magnon et des Hommes de Neandertal.