Où ? dans le Jura Souabe, dans les profondeurs de la grotte Hohle Fels située dans la vallée de l'Ach, près de la ville de Schelklingen, à 20 km au sud-ouest de la ville d'Ulm.

Articles

Conard, N.J. 2003. "Palaeolithic ivory sculptures from southwestern Germany and the origins of figurative art". Nature 426 (18/25 décembre) : pages 830-832. Résumé

Sinclair, A. 2003. "Art of the ancients". Nature 426 (18/25 décembre) : pages 774-775.

Des sculptures voisines
Avec le groupe de plus de 20 figurines d'ivoire précédemment récupérées dans les environs, ces trois minuscules sculptures pas plus hautes que 4 cm forment la plus ancienne collection d'art figuratif du monde. Ce corpus d'une vingtaine d'objets provient des quatre sites de Vogelherd, Geissenklosterle, Hohlenstein-Stadel et Hohle Fels, tous situés dans les vallées de l' Ach et de la Lone, et toutes ses pièces datent d'un peu plus de 30 000 ans. Le nombre important d'objets retrouvés dans ces grottes incite Anthony Sinclair, de l'Université de Liverpool, à proposer qu'elles constituaient les ateliers des artistes.

L'Aurignacien et les théories de l'art
Joachim Hahn avait proposé le concept Kraft und Aggression (puissance et agression) : l'art aurignacien représente des prédateurs imposants, rapides et dangereux dont l'homme veut s'approprier la force. La présence d'un oiseau parmi les sculptures de Hohle Fels contredit ce postulat. "Il semblerait que la gamme des thèmes figurés soit plus large, incluant des animaux que les habitants de la région devaient admirer", avance Nicholas Conard.
La qualité artistique de toutes ces statuettes, qui rivalisent en âge et en sophistication avec les peintures de la grotte Chauvet, témoigne que les Aurignaciens possédaient une maîtrise des techniques de fabrication et des matériaux plus avancée que ce que l'on a pu penser. Une évolution linéaire de l'art, avec des débuts grossiers durant l'Aurignacien suivis ultérieurement de créations plus sophistiquées, ne tient pas la route devant la précision des détails des trois figurines, de leurs yeux en particulier. Ces œuvres d'art sont en effet parmi les exemples les plus raffinés de l'art naissant. Conard estime cependant que de tels exemples d'art aussi abouti ont pu apparaître en différents endroits indépendamment les uns des autres : il s'agit de la thèse multirégionale de la naissance de l'art.

Datation
Trois laboratoires ont daté les os d'animaux et les charbons des quatre grottes. La datation au radiocarbone devient cependant approximative pour des âges supérieurs à 30 000 ans. Les sculptures peuvent dater d'il y a un peu plus de 30 000 ans (30 à 33 000 ans). Ce qui en fait semble-t-il les plus anciennes représentantes de l'art figuratif au monde. Les restes animaux indiquent que les grottes furent occupées de manière répétée en hiver et au printemps.

Qui furent les sculpteurs ?
Aucun fossile humain paléolithique (ni d'Homme moderne ni de Néandertalien) ne fut relevé dans ces sites. Nicholas Conard et ses collègues supposent cependant (mais ce n'est pas une certitude absolue) que ces œuvres d'art sont nées de la main de l'Homme moderne et non de celle d'un Néandertalien, car les niveaux dans lesquels les figurines furent découvertes sont associés aux Hommes modernes. L'apparition de la sculpture signe manifestement un saut culturel par rapport à la fabrication d'outils et de pigments. C'est sans doute pour cela aussi que Conard attribue ces sculptures à l'Homme moderne. Il estime par ailleurs que les découvertes du Jura souabe permettent de croire que les premiers Hommes modernes sont arrivés en Europe en suivant le Danube (si du moins l'hypothèse que les Aurignaciens sont des modernes n'est pas infirmée).

La fonction de ces objets
Les trois objets de Hohle Fels présentent de fines lignes creusées (parfois des croix) dont le polissage très net est lié à des manipulations répétées. Ces statuettes n'auraient donc pas été de purs objets d'art décoratifs.

Les motivations des sculpteurs des œuvres de Hohles Fels demeurent obscures, selon Steven Kuhn (University of Arizona, Tucson). Pour découvrir le but de ces objets, il faut retrouver d'autres sculptures et des indices indiquant comment elles étaient utilisés. Mark Collard (Washington State University, Pullman) est intrigué par le fait que certaines personnes ont pu passer du temps à fabriquer ces objets. Selon lui seuls de grands groupes possédant des moyens de subsistance suffisamment sûrs ont pu se permettre de telles activités.

Pour Clive Gamble (Université de Southampton), le sculpteur de l'homme-lion qui n'a pas décrit le monde animal de façon totalement réaliste a ainsi témoigné que ses semblables avaient créé un monde imaginaire. L'excavation d'une première figurine d'homme-lion, de près de 30 cm celle-ci, dans la grotte du Hohlenstein-Stadel dans la vallée de la Lone, avait déjà amené certains archéologues à avancer l'existence de pratiques chamaniques. Quelques scientifiques ont effectivement proposé que les représentations des créatures chimériques mi-humaines mi-animales pouvaient être mises en rapport avec les croyances chamaniques qui évoquent les liens des chamanes avec des esprits animaux. Nicholas Conard pense également que les nouvelles figurines purent être le support d'une utilisation symbolique liée au chamanisme. Selon lui, une bonne partie des œuvres d'art préhistoriques reflètent des rituels chamaniques. C'est ainsi que certaines sociétés traditionnelles considèrent que les oiseaux aquatiques conduisent les chamanes vers le Monde-Autre. Pour Randall White, il pourrait aussi bien s'agir de personnages mythiques.

Mais on peut également considérer que deux de ces sculptures (le canard et le cheval) constituent une représentation de l'observation détaillée du monde normal. Pour certains auteurs, l'art paléolithique a débuté par la description réaliste du monde. Il est par ailleurs logique que la sculpture ait précédé la peinture, cette dernière exigeant une abstraction supplémentaire permettant la représentation en deux dimensions de la réalité tridimensionnelle de notre environnement.

L'oiseau, le cheval et l'homme-lion
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Description
En 2002, l'équipe de Nicholas Conard, de l'Université de Tübingen (Allemagne), a découvert trois nouvelles statuettes aurignaciennes en ivoire de mammouth dans le Jura Souabe.

La première d'entre elles évoque la tête d'un animal, probablement celle d'un cheval bien qu'il puisse s'agir d'un ours. De fines lignes incisées soulignent les yeux, les naseaux et la bouche. Il mesure 38 mm de longueur.

La seconde figurine, découverte brisée en deux morceaux, révèle un oiseau aquatique dont on distingue particulièrement bien le bec, le cou et la queue. Sa forme générale est celle d'un cormoran en plongée même si le bec ne possède pas le petit crochet caractéristique de cette espèce. On distingue les membres postérieurs mais pas les pattes proprement dites. Une série de lignes représentent apparemment les plumes sur la partie postérieure de l'oiseau. Ce canard (ou une oie ?) mesure 47 mm du bec jusqu'à la queue. Il s'agit de la plus ancienne représentation d'un oiseau.
La troisième statuette est plus difficile à interpréter. Elle mesure 25 mm de hauteur et possède d'incontestables caractères humains tels que des épaules, des bras courts et une oreille délicatement sculptée, mais la face semble animale, avec un mufle carré. La figurine de l'homme-lion précédemment découverte à Hohlenstein-Stadel nous incite à voir un visage de lion dans cette troisième statuette de Hohle Fels qui serait donc également la représentation d'un être chimérique asexué, mi-homme mi-félin.
de Hohle Fels
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Ces trois sculptures, les plus anciennes au monde, seraient les plus vieux exemples d'art figuratif
d'après Ant. Mehl, Br. Bower, Mich. Hopkin, Rex Dalton, Jonathan Amos, Luc Allemand et Rom. Pigeaud
à la même époque qu'Hohle Fels
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Ces trois sculptures étaient-elles portées comme amulettes ?