L'origine de l'Homme moderne est un phénomène tout aussi complexe à saisir que l'apparition du genre Homo. Il y a 400 000 ans, l'Afrique est touchée par une forte augmentation de l'aridité, qui conduit à l'extension des déserts du Sahara et du Kalahari. Pour Jean-Jacques Hublin, c'est dans ce contexte qu'émergent les premiers Hommes morphologiquement modernes.
Si l'on a l'impression
d'un continuum culturel entre Homo erectus et Homo sapiens,
il faut souligner à quel point il est difficile, du point de vue paléontologique,
de placer une limite nette entre les derniers erectus et les premiers
sapiens, au point que pour certains auteurs ces deux espèces
n'en font qu'une (Mayr en 1950 et Wolpoff en 1994 incorporaient erectus
dans l'espèce sapiens).
L'étude des fossiles humains africains âgés de 500 000
à 30 000 ans met
effectivement en évidence
une transition morphologique progressive (1)
depuis les Archanthropiens
jusqu'aux Hommes anatomiquement modernes.
Certains spécimens africains peuvent ainsi être qualifiés
de fossiles de transition.
Ils ont été dénommés Homo erectus évolués
ou Homo sapiens archaïques, et regroupés
chronologiquement en trois ensembles par
Bräuer :
- LES
HOMO SAPIENS ARCHAÏQUES ANCIENS
- LES
HOMO SAPIENS ARCHAÏQUES RÉCENTS
- LES
HOMO SAPIENS ANATOMIQUEMENT MODERNES ANCIENS.
Une tendance
actuelle (2) attribue à chacun
de ces groupes un nom spécifique, respectivement :
- Homo heidelbergensis ou Homo rhodesiensis
- Homo
helmei
- Homo sapiens.
LES HOMO
SAPIENS ARCHAÏQUES ANCIENS (500 000 à 300 000
ans)
Ndutu (Tanzanie) découvert en 1973
Bodo (Éthiopie) 1976-1981 : le plus ancien (600
000 ans ?) ou 300 000 ?
Eyasi 1 et Eyasi 2 (Tanzanie) 1935-1938
KNM - ER 3884 (Ileret, Kenya) 1976
Hopefield 1 (Saldanha, Elandsfontein, Afrique du
Sud) 1953
Kabwe 1 et peut-être
Kabwe 2 (Zambie) 1921
Citons aussi l'Homme de Salé
(et pour certains Rabat et Sidi Abderrahmane au Maroc, cependant proches d'authentiques
Homo erectus) et des fossiles à Berg Aukas (Namibie) et dans
les carrières de Thomas (Maroc). Hublin cite aussi Djebel Irhoud parmi
les Homo heidelbergensis.
Ces spécimens ont une morphologie en mosaïque, c'est-à-dire que chaque individu possède à la fois des caractères plésiomorphes et des caractères apomorphes : leur capacité crânienne (voisine ou supérieure à 1 250 cm3) est plus importante que celle des Archanthropiens et, ce qui est lié, leur voûte crânienne est plus large ; leur torus sus-orbitaire s'infléchit au-dessus de la glabelle et s'affine latéralement. Leur front est cependant aussi fuyant que celui des Archanthropiens. Selon Howell (1994), ce premier groupe est suffisamment différent des Homo sapiens pour en être distingué, et de plus en plus les "Homo sapiens archaïques anciens" sont nommés Homo heidelbergensis ou Homo rhodesiensis.
LES HOMO
SAPIENS ARCHAÏQUES RÉCENTS
(300 000 à 100 000 ans)
LH 18 [Laetoli
Hominid 18] (Ngaloba, Tanzanie) 1976
Omo 2 (Kibish, Éthiopie) 1967
Eliye Springs 11693 (Kenya) 1983
Florisbad (Afrique du Sud) 1932
et peut-être Jebel Irhoud 1
(Maroc) 1961
Leur apparence tend à être moderne (front redressé, torus
sus-orbitaire réduit). La capacité crânienne de LH 18
et de Florisbad, supérieure à 1350 cm3, est même identique
à la nôtre, et la face de Florisbad est tout à fait moderne.
Mais certains caractères rappellent les Homo sapiens archaïques
anciens : LH 18 et Omo 2 ont des os pariétaux allongés
et un os occipital anguleux ; ES 11693 a une face très basse,
large et massive ; Florisbad possède une région sus-orbitaire
relativement robuste.
Wood inclut KNM-ER
999 et KNM-ER 3884 dans ce groupe. Stringer ajoute KNM-ER 3884 et Singa (Soudan)
à cette liste de fossiles qui datent pour lui entre 260 000 et 130 000
ans et représentent les possibles anciens Homo sapiens .
Certains chercheurs (comme Lahr et Foley en 1994) suggèrent de reconnaître
un nom spécifique à ce groupe de fossiles, bien que White leur
trouve une considérable diversité anatomique. Le terme d'Homo
helmei (donné par Dreyer à l'individu de Florisbad en 1935)
est le plus approprié pour regrouper des individus comme LH 18, Florisbad,
Djebel Irhoud, ER 3884, Singa, Haua Fteah (Libye, plus de 90 000
voire plus de 130 000 BP) et Mugharet el Aiya (Maroc, 65 000 à
90 000 BP).
C'est dans ce même groupe
que Tim White classe en 2003
un nouveau venu : Homo
sapiens idaltu (à Herto). Pour
Chris Stringer, il fait déjà partie du 3ème
groupe, les Homo sapiens modernes.
LES HOMO
SAPIENS ANATOMIQUEMENT MODERNES ANCIENS
(100 ou 130 000 ans)
Omo
1 (Kibish, Éthiopie) 1967 : peut-être contemporain d'Omo
2 (195 000 BP)
Mumba XXI (Tanzanie) 1977 150 000-110 000 BP
Klasies River Mouth (Afrique
du Sud) 1984 - 1986
Equus Cave (Afrique du Sud) 1978 - 1982
Die Kelders Cave (Afrique du Sud) 1980 80 000 - 60 000 BP
Jebel Irhoud 2 et peut-être Jebel
Irhoud 1 (Maroc) 1961
+ ? Border Cave (Afrique du Sud) 1940 - 1942 - 1976 : anatomie très
moderne mais ancienneté très
incertaine
Wood classe le crâne incomplet de Singa dans ce groupe. Picq y ajoute LH 18 et Dar es-Soltan.
Les partisans du modèle multirégional présentent cependant des séries de fossiles qui paraissent représenter des exemples asiatiques d'évolution locale comparable d'Archanthropiens vers l'Homme moderne : l'Homo sapiens archaïque de Ngandong (Java) pourrait ainsi être une forme de transition ; de même, l'Homo sapiens archaïque ancien de Dali (Chine) serait une forme intermédiaire entre les Homo erectus asiatiques et les Homo sapiens archaïque récents de Maba et Xujiayao.
Parmi les Homo sapiens archaïques extra-africains, citons également l'Homme de Zuttiyeh du Proche-Orient.
Il aurait été mis en évidence des caractères communs entre les Homo sapiens archaïques africains et le crâne d'Homo erectus BOU-VP-2/66 "Daka" découvert à Bouri (Éthiopie) datant de 1 Ma. Cette filiation est cependant plus hypothétique que celle qui présente les Homo sapiens archaïques africains comme les ancêtres de l'Homme de Zuttiyeh, lui-même peut-être à l'origine des "Proto-Cro-Magnons" de Palestine (Skhul et Qafzeh).
La morphologie des crânes des Hommes modernes de Skhul et Tabun 2 leur attribue une ascendance africaine. Même si la datation de ces crânes confirmait un âge de 160 000 ans, l'origine africaine de leurs ancêtres ne serait plus remise en cause si les crânes africains d'Omo sont effectivement plus anciens.
Concernant la taxinomie des Homo erectus évolués/Homo sapiens archaïques africains, nous avons précisé que certains auteurs placent le premier ensemble (désigné plus haut "Homo sapiens archaïques anciens" : Eyasi, Hopefield, Kabwe, Salé, etc.) parmi les Homo heidelbergensis. Or l'holotype de cette espèce, la mandibule de Mauer, est déjà engagé dans la spécialisation qui mène à l'Homme de Neandertal. Pour éviter toute ambiguïté, Jean-Jacques Hublin préfère avec d'autres réserver ce terme aux Anténéandertaliens et propose de nommer les Homo sapiens archaïques anciens du nom dont Woodward baptisa en 1921 l'Homme de Kabwe, Homo rhodesiensis.
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D. GRIMAUD-HERVE & coll. : Le Deuxième Homme en Afrique, Artcom'/Errance, 2002.
B. WOOD & B. G. RICHMOND : "Human evolution : taxonomy and paleobiology", J. Anat. (2000) 196, pp. 19-60.
J.-J.
HUBLIN : L'émergence d'Homo sapiens : une perspective nord-africaine.
www.originsnet
Homo
sapiens archaïques anciens
|
=
Homo heidelbergensis
ou Homo rhodesiensis |
Homo
sapiens archaïques
récents
|
=
Homo helmei
( avec Homo sapiens idaltu ? ) |
Homo
sapiens modernes anciens
|
=
Homo sapiens
( avec Homo sapiens idaltu ? ) |