Avant
l'arrivée de l'Homme moderne en Europe : Neandertal
Les Néandertaliens ont vécu en Europe jusqu'il y a 30 000 ans,
par exemple à Zafarraya (1),
en Espagne, où ils étaient de culture moustérienne (Paléolithique
moyen) et ne présentaient guère de caractères anatomiques
d'Homme moderne.
En général de culture moustérienne, l'Homme de Neandertal a en certains lieux développé une civilisation du Paléolithique supérieur, le Châtelperronien. Les sites sur lesquels outils châtelperroniens et fossiles néandertaliens ont été retrouvés dans le même niveau sont rares (Saint-Césaire et Arcy-sur-Cure).
Les
Uluzziens : modernes ou néandertaliens ?
Les fossiles sont encore plus rares pour identifier les artisans des autres
cultures du début du Paléolithique supérieur : pour l'Uluzzien,
deux molaires de lait ont été exhumées dans la grotte
du Carvallo (Italie) ; elles datent des environs de 30 000 ans. "Paradoxalement,
la molaire provenant de la couche la plus ancienne est attribuable à
un homme moderne alors que la plus récente l'est à un Néandertalien"
("Les anthropologues reconnaissent d'ailleurs qu'il est parfois difficile
d'établir une différence entre une molaire de Néandertalien
et une molaire d'homme moderne archaïque, difficulté qui s'amplifie
encore quand il s'agit de dents de jeunes enfants dont les caractères
sont atténués") (2)
Les
premiers Aurignaciens
Les plus anciens exemples de la culture aurignacienne dateraient d'il y a
40 000 ans (3)
en Europe de l'Ouest (Le Castillo, en Espagne : Aurignacien archaïque)
et 43 000 ans en Europe de l'Est (Bacho Kiro,
en Bulgarie : Aurignacien ancien = Bachokirien). Mais aucun fossile humain
n'est associé aux artéfacts espagnols (les
ossements proviennent de couches différentes des niveaux les plus anciens
(4))
et l'attribution des os bulgares est encore débattue.
Certains auteurs mettent donc en doute l'attribution de l'Aurignacien à
l'Homme moderne. D'autant plus que l'Aurignacien archaïque du Castillo
résulterait peut-être d'une évolution locale du Moustérien
(une culture néandertalienne en Europe) (5)
et que de même l'Aurignacien ancien de Bacho-Kiro est considéré
comme un Aurignacien "local" (6),
voire même comme une industrie de transition non
aurignacienne par Tsenka
Tsanova & Jean-Guillaume Bordes (2003) pour qui le
plus ancien site aurignacien daterait donc de 36 500 ans, en Espagne.
Mellars
cite cependant encore en 2004 les arguments de Churchill
& Smith (2000)
(15)
: selon eux, les pré-Aurignaciens de Bacho-Kiro sont probablement des
Hommes modernes. "A partir de 30 000 ans environ, les fossiles
aurignaciens s'intègrent tous aux hommes de morphologie moderne. Mais
les quelques restes humains provenant des niveaux aurignaciens les plus anciens,
souvent robustes, demeurent trop fragmentaires pour que l'on puisse leur donner
un statut indiscutable. Or c'est pendant cette période, comprise entre
30 000 et 40 000 ans, que les Néandertaliens et les hommes
modernes furent contemporains en Europe, et l'on peut se demander si, pour
une part au moins, les premiers Aurignaciens n'ont pas été aussi
des Néandertaliens." (7)
Les récentes datations des fossiles de Hahnöfersand, Velika Pecina et Cro-Magnon ont réduit la liste des Hommes modernes de culture aurignacienne, de même que la datation des ossements de Stetten, laquelle a même incité Conard à affirmer qu'il n'est pas impossible que les Néandertaliens soient les auteurs de la culture aurignacienne. Mais Mellars soutient qu'il existe suffisamment de fossiles d'Hommes modernes associés à une époque ou à des productions aurignaciennes pour infirmer l'hypothèse néandertalienne (Oase, Ksar Akil, Kents Cavern, Les Rois, Bacho Kiro, Mladec).
Les plus anciens hommes d'Europe assurément modernes sont ceux d'Oase, en Roumanie (35 000 ans) et de Cro-Magnon, en France (28 000 ans). Aucun artefact (8) n'a été retrouvé avec les squelettes d'Oase dont l'appartenance culturelle demeure donc pour l'instant inconnue. Quant à Cro-Magnon, la dernière datation (indirecte) en ferait un Gravettien. Voici quelques autres fossiles, dont l'attribution anatomique et culturelle est rarement assurée :
L'Homme
de Cro-Magnon (9)
Le type anthropologique dit "de Cro-Magnon" ressemble fort à
l'homme actuel. Le crâne est plus robuste et plus allongé, et
la mandibule légèrement plus massive. La région occipitale
est étirée en "chignon". Notons que le terme d'homme
de Cro-Magnon est traditionnellement mais abusivement étendu
à tous les Hommes modernes. (10)
Solutré (Saône-et-Loire) : il se pourrait
que quelques restes humains soient aurignaciens...
grotte du Bouil-Bleu (La Roche Courbon, Charente Maritime,
1956) : squelette daté de l'époque romaine (daté directement
par 14C SMA) ainsi
que me le précise Madame Véronique Dujardin que je remercie
(10bis)
Cro-Magnon : outillage aurignacien,
mais squelette d'âge aurignacien
ou gravettien (28 000 BP) (11)
Hommes de Grimaldi : grotte
du Cavillon (Homme de Menton) et grotte des Enfants
: aurignaciens possibles (avec des réserves) mais contexte archéologique
et structure des sépultures suggèrent qu'ils sont gravettiens,
bien que des outils soient aurignaciens. Hommes modernes incontestables.
Les Cottés (Vienne, 1881) : une calotte
crânienne, un fragment de mandibule, des os de membres, côtes,
vertèbres ; le crâne ressemble à la femme de Cro-Magnon
; attribution aurignacienne discutée.
La Crouzade (Gruissan, Aude) : frontal
fragmenté et une portion de maxillaire avec quatre dents : homme moderne
adulte assez jeune, un peu différent de Cro-Magnon,
dans un niveau daté de l'Aurignacien classique (Aurignacien I)
La Grande Grotte de Bize (grotte Tourdal,
Aude) : fragment de pariétal et une molaire dans le niveau
aurignacien archaïque . 34 500 BP
Isturitz (Saint-Martin-d'Arberoue, Pyrénées
Atlantiques) : une demi-mandibule moderne est peut-être
aurignacienne, mais peut-être beaucoup plus récente par sa morphologie
Fontéchevade (Charente) : l'Aurignacien
aurait renfermé un fragment de radius très robuste, un pariétal
isolé peu courbé et un fragment de mandibule avec une première
molaire d'enfant d'environ 7 ans, robustes mais presque modernes
Les Rois (Charente) : aurignacien
; deux
fragments de mandibule d'enfants et des dents isolées à morphologie
en pelle ; caractères archaïques
(mais l'une des mandibules possède un menton, caractère moderne
même s'il est peu saillant)
Grotte
du Castillo
(Espagne)
: le niveau de l'Aurignacien typique ( = Aurignacien classique = Aurignacien
I
évolué) renfermait une partie de mandibule d'enfant, des fragments
dont ceux d'un crâne et une molaire, tous d'hommes modernes.
Cueva Morín (Espagne) : moulages de quatre
corps, sans doute Aurignaciens et modernes
L'Homme de Brno (9)
Le "type de Brno"
diffère de Cro-Magnon par un frontal étroit
et fuyant, de fortes arcades sus-orbitaires, une face haute et prognathe.
Le dimorphisme sexuel est important. Le fossile-type est Brno II,
que l'on a rapproché de l'homme de Combe-Capelle (12)
(Dordogne) qui n'est peut-être pas paléolithique.
Les fossiles d'Europe centrale ressemblent en fait beaucoup à ceux
d'Europe occidentale : les différences ne concernent que des nuances
morphologiques et métriques. L'homme de Cro-Magnon et l'homme de Brno
ont en commun un crâne robuste, un front droit, des orbites rectangulaires,
l'absence de relief continu sus-orbitaire et la présence d'un menton.
Brno II
: squelette aurignacien ou plutôt sans doute pavlovien ;
Dolní
Vestonice : pavlovien
Pavlov : pavlovien
Predmost (Moravie) : pavlovien.
squelettes (détruits aujourd'hui). 26 800-26 300 ans. ressemblances
avec Skhul et Qafzeh.
Cioclovina (Roumanie) : calotte crânienne
contemporaine du pavlovien
Kostenki (Russie) : kostenkiens
Sungir' (Russie)
: type Cro-Magnon peut-être
gravettien : mais statuettes
proches de l'Aurignacien ;
Hahnöfersand (Allemagne, 1973)
: frontal incomplet adulte, supposé aurignacien (pas d'outil, pas de
faune, pas de stratigraphie). L'os frontal de Hahnöfersand,
considéré par certains auteurs comme un fossile intermédiaire
(Homo sapiens archaïque) de la période de transition entre
le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur,
a été publié par Bräuer en 1980 et daté de
36 300 +/- 600 BP par le carbone 14 (AAR), rajeuni ensuite à 33 200
+/- 3000 BP (Bräuer 1981). Le frontal de Hahnöfersand a plus tard
été daté de façon directe (carbone 14 AMS) et
estimé à 6 339 +/- 69 cal. BC (Terberger et al. 2001) (13)
Kelsterbach
(Allemagne)
: le crâne a été daté de 31 000
ans (Stringer et al. 1984 : 68) par le même laboratoire et avec la même
méthode (AAR) que l'os de Hahnöfersand. Son ancienneté
est donc également sujet à caution. Pas
d'outil, pas de faune, pas de stratigraphie. (13)
Stetten 1
(Allemagne) : niveau aurignacien (les circonstances de découverte
sont peu claires, et l'appartenance à
l'Aurignacien archaïque
des outils trouvés n'est
pas sûre). Cinq
des ossements humains découverts en 1931 à Vogelherd ont été
récemment datés par la technique AMS (carbone 14) au Leibniz
Laboratory : le crâne (très fin, typiquement moderne) et la mandibule
de Stetten 1, le crâne de Stetten 2, une vertèbre de Stetten
4 et un humérus (très robuste mais moderne) de Stetten 3. La
mandibule a été datée deux fois. Les six mesures effectuées
concordent et font remonter les Hommes modernes de Vogelherd au Néolithique
: entre 3980 +/- 35 et 4995 +/- 35 BP.
Mladec (Moravie, fouilles dès
1881) : 12 (?) individus (presque tous détruits de nos
jours) peut-être contemporains de l'Aurignacien à pointes
en os dites de Mladec (en tout cas un Aurignacien assez ancien, mais pas
le plus ancien) ; squelettes modernes
(les crânes Mladec 1 et Mladec 2 ont un contour général,
des parois verticales en vue postérieure, une glabelle peu prononcée
et une fosse canine traduisant une morphologie moderne), certains très
robustes (très grande variabilité selon les individus) ; reliefs
sus-orbitaires modernes mais très saillants. Certains sujets (masculins
?) : voûte crânienne épaisse, chignon occipital accentué,
relief sus-orbitaire important : détails néandertaliens ? (ces
caractères ne seraient en fait pas spécifiques aux Néandertaliens,
et il n'y a jamais à Mladec de torus sus-orbitaire continu comme chez
les Néandertaliens).
Mladec 5 est par exemple archaïque : constriction post-orbitaire
marquée, fosse sus-iniaque et torus sus-orbitaire.
Zlaty-Kun
( Bohême) : calotte crânienne incomplète et demi-maxillaire
d'adulte ; morphologie moderne, robuste mais moins primitive que Mladec 5
: torus, fosse sus-iniaque, et processus mastoïdes très petits.
Aurignacien ancien ?
Velika Pecina (Croatie) : demi-frontal
adulte, dans un niveau aurignacien. D'allure moderne,
retrouvé dans le niveau J, associé à un outil "proto-Aurignacien"
, stratigraphiquement en-dessous du niveau I daté de 33 850 +/-
520 BP sur du matérial non humain par le carbone 14 ; l'ancienneté
du frontal fut ensuite mesurée directement et datée de 5 045
+/- 40 BP. (14)
Bacho Kiro (Bulgarie) : dans
un niveau aurignacien : un petit fragment
de pariétal, et dans
le niveau II/I daté de 38 000 ans BP (aurignacien ancien) : un petit
fragment de mandibule gauche contenant la première molaire et appartenant
à un enfant d'environ 7 ans. L'os mandibulaire est épais, la
dent est énorme
cet enfant était probablement néandertalien.
Cependant, la très petite taille du fragment ne permet aucune certitude.
Pestera
cu Oase (Roumanie)
: une
mandibule dénommée
Oase 1 et cinq
molaires, de 34 000 à 36 000 ans
(2002) et un os temporal et une face qui appartiendraient à
un adolescent (2003).
Nous
connaissons donc toujours des Hommes modernes
aurignaciens :
Mellars rappelle que la récente
datation directe par carbone 14 des ossements d'Hommes modernes que l'on croyait
aurignaciens a montré qu'il s'agit finalement de sépultures
intrusives d'Hommes plus récents (Velika Pecina, Vogelherd). Conard
et Trinkaus se sont alors demandé si les
Aurignaciens étaient bien des Hommes anatomiquement modernes. Mellars
estime que cette réaction de doute est prématurée et
peut-être infondée. Tout au plus peut-on d'après lui supposer
que les Aurignaciens enterraient peut-être moins leurs morts que les
Moustériens et les Gravettiens.
Mellars pense qu'il persiste
cinq ou six contextes bien documentés d'Hommes modernes datant de l'époque
aurignacienne ; dans plusieurs de ces cas, les Hommes modernes sont apparemment
associés à des productions aurignaciennes :
Pestera cu Oase (Roumanie) : trois Hommes typiquement
modernes bien datés de 35 000 BP par carbone 14 ; aucun
artefact n'a cependant été retrouvé
Ksar Akil (Liban) : un squelette complet d'enfant, retrouvé
juste sous une grande séquence aurignacienne ; bien daté par
l'archéologie et le radiocarbone (au moins 40 000 BP)
Kents Cavern (Royaume-Uni) : fragment de maxillaire
daté directement (30 900 ± 900 BP)
Les Rois (France) : deux mandibules modernes
caractéristiques apparemment associées à des niveaux
aurignaciens anciens (32 000 à 35 000 BP) [cf. commentaire
selon (9)]
Bacho-Kiro (Bulgarie)
: le fragment de mandibule et les autres fossiles des niveaux pré-aurignaciens
(bachokiriens) sont probablement anatomiquement modernes (dates
radiocarbone : 39 000 à 43 000 BP)
(15)
Mladec (Rép. Tchèque) : deux crânes
distinctement modernes et d'autres fossiles ont été récemment
datés indirectement par la mesure du radiocarbone de dépôts
de calcite associés aux ossements (34 000 - 35 000 BP) et
sont presque certainement associés à des artefacts en
os typiquement aurignaciens
Cro-Magnon ? (27 680 ±
270 BP) : cf. commentaire (11)
Les "Néandertaliens de transition"
L'expression est de Vlcek. Il l'attribuait à des Moustériens
qui présenteraient certains caractères modernes. Il les considérait
en effet comme les ancêtres des Hommes de type Brno.
Kulna (Moravie)
Krapina (Yougoslavie, stade
isotopique 5) : ne
se distingue en fait des Néandertaliens classiques des stades isotopiques
4 et 3 que par quelques détails anatomiques
Starosel'e (Crimée)
L'expression pourrait intéresser les fossiles de
Vindjia (Croatie) : ici c'est une couche aurignacienne qui
aurait livré des restes fragmentaires d'individus "transitionnels"
; il n'y a en fait qu'un seul fragment de pointe aurignacienne,
peut-être intrusif, le reste du matériel est moustérien
; quant aux caractères anatomiques"modernes", ils ne sortent
en fait pas de la variabilité habituelle des traits néandertaliens.
42 000 ans.
Métissage ?
Anne-Marie Tillier (Université de Bordeaux) favorable à l'idée
d'un métissage entre certains hommes modernes et certains Néandertaliens,
remarque aux côtés de son collègue Dominique Gambier que
certains restes humains associés à la culture dite aurignacienne
- donc attribués à Cro-Magnon, mais peut-être à
tort - montrent une troublante robustesse et des caractères dentaires
archaïques.
Inversement, les derniers Néandertaliens dessineraient parfois des silhouettes bien plus graciles que leurs ancêtres. Cette "gracilisation" pourrait être pour Fred Smith et Ivor Karavanic le résultat de contacts rapprochés avec les immigrants aurignaciens. C'est peut-être le cas pour le crâne de Saint-Césaire (Charente-Maritime) qui présenterait plus de similitudes avec celui d'un homme moderne qu'avec le crâne du vieux Néandertalien de la Chapelle-aux-Saints (Corrèze), plus âgé de 15000 ans. Ou également pour les Néandertaliens tardifs qu'ils ont exhumés à Vindija en Croatie, âgés de 28 000 ans, "morphologiquement tellement plus modernes que les autres Néandertaliens que cela suggère une hybridation". Pour Arme-Marie Tillier, "les derniers Néandertaliens et les premiers hommes modernes d'Europe centrale semblent effectivement avoir en commun des caractères à l'arrière du crâne, comme la fosse sus-iniaque ". Erik Trinkaus se fonde sur l'existence de continuités morphologiques au niveau de la face entre les Néandertaliens de Vindija et les hommes modernes de Brno et de Mladec.
Mais
en
Europe de l'Ouest les derniers Néandertaliens (Zafarraya) tendent plutôt
à accentuer leurs caractères spécifiques qu'à
ressembler aux hommes modernes. Un seul fossile occidental
pourrait prétendre au titre d'intermédiaire
: il s'agit du squelette de
Lagar Velho ; cependant
le jeune âge du sujet ne permet pas d'être absolument affirmatif
sur la réalité d'un métissage.
Robert
Walker rappelle par ailleurs la loi de Wolff : l'os est un tissu très
plastique, modelé par les contraintes environnementales. La ressemblance
entre certains hommes modernes et certains Néandertaliens serait ainsi
due à des conditions de vie semblables.
(14) Smith, F., Trinkaus, E. Pettitt, P.B., Karavanic, I. & Paunovic, M. (1999) : "Direct radiocarbon dates for Vindija G1 and Velika Pecina hominid remains". Proceedings of the National Academy of Sciences 96 (22): 12281-12286.
(13) Daryl Habel, PALANTH
(15) Churchill, S. E. & Smith, F. H. (2000) : "Makers of the early Aurignacian of Europe". Yb. Physical Anthropol. 43, 61-115